Goûts et Terroirs

Bulle, 31.10.2012 - Rede von Bundesrat Alain Berset anlässlich der Schweizer Messe Goûts et Terroirs - Es gilt das gesprochene Wort.

Le terroir marque naturellement une appartenance. Mais le goût distingue encore davantage, car le goût est une affaire intime. Il agit comme un révélateur de la personnalité. Dis-moi tes goûts, je te dirai qui tu es. Le goût permet également une connivence joyeuse. Sans goûts partagés, il n'y a pas d'amitié possible. C'est pourquoi la maxime de la Rouchefoucauld résonne particulièrement :

Notre amour propre souffre plus impatiemment la condamnation de nos goûts que de nos opinions.

Et c'est vrai ! Vous êtes sans doute au courant que mes opinions ne font pas - toujours - l'unanimité. Pour tout vous dire, il m'arrive même d'entretenir quelque - rare - divergence avec le président de ce salon. Elles touchent même parfois des questions de santé publique liées à ces produits du terroir, si délicatement enivrants. Mais, ce soir, laissons de côté les opinions politiques ! Et comme un défi à la belle maxime de la Rochefoucauld, je préfère vous entretenir de l'un des mes goûts, bien ancré dans le terroir. J'en suis par avancé désolé pour celles et ceux qui comptent sur les 12 prochains mois pour se remettre de la Bénichon.

En effet, j'aimerais vous parler de l'emblème de la Bénichon : une simple tartine à la moutarde. Mais pas avec n'importe quel pain, ni d'ailleurs n'importe quelle moutarde ! C'est un pain brioché auquel le safran apporte non seulement une couleur flatteuse, mais aussi sa saveur singulière. La cuchaule, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, constitue d'ailleurs une énigme très intéressante dans l'histoire des goûts et terroirs. Et puisque terroir rime avec tradition, je ne résiste pas au plaisir de vous en dire deux mots.

Du safran est bel et bien attesté chez des apothicaires fribourgeois du 15è siècle. Sa culture semble répandue aux 17e et 18e siècles, et subsiste encore aujourd'hui dans le village valaisan de Mund. Mais malgré tous ces indices, l'idée d'épicer ce pain demeure, à ma connaissance, inconnue.

Aujourd'hui, on trouve bien sûr toute sorte d'épices dans n'importe quel magasin d'alimentation. Notre goût s'est internationalisé de manière tout à fait spectaculaire. Faut-il trahir mon âge en vous disant qu'enfant, nos tortillas s'appelaient des crêpes et qu'adolescent, je n'ai jamais mangé de kebabs ?

Or, cette fascinante ouverture gustative au monde n'est pas moderne. Le Livre du cuisinier vénitien, datant de l'époque de Marco Polo, consacre par exemple de nombreuses pages aux préparations épicées. Les trois quarts des recettes embaument de gingembre, muscade, poivre, clou de girofle, cannelle, cardamome, graines de coriandre et, bien entendu, de safran.

Des préparations utilisent même le galanga et la maniguette, des épices que nous utilisons sans doute plus rarement que les cuisiniers vénitiens de la fin du Moyen Age.

Oui, j'aime la cuchaule, son goût subtil de lait safrané, sa texture tendre et légère, j'aime l'entendre croustiller au moment de la découper. Mais je goûte également cette invitation au voyage auquel me convie l'énigme de son origine.

Je parlais à l'instant d'une internationalisation du goût. Aujourd'hui, c'est une évidence, on déguste les produits de divers terroirs, la région d'Auvergne est d'ailleurs l'invitée de ce salon. Le goût est devenu cosmopolite. Or, une matière brute de qualité est une condition indispensable de la réussite gastronomique. Comme en témoignent les très nombreux exposants de ce salon, un bel aliment produit localement, selon nos standards de qualité, offre également l'occasion d'une économie de proximité, à taille humaine, qui favorise un développement respectueux de la nature. Cuisiner global et manger local, telle pourrait être la déclinaison actualisée du vieux slogan : penser global, agir local.

Si une matière brute de qualité est nécessaire à un bon artisan, l'inverse est également vrai. Le goût est affaire de culture. Une cuchaule est naturellement excellente, mais la même cuchaule servant d'écrin à un hamburger dzozet au foie gras, truffé de vacherin et de poire à botzi, acquiert une toute autre saveur. Pierrot Ayer, le chef fribourgeois, vous le démontrera d'ailleurs en direct vendredi.

Cette culture du goût qui nous fait véritablement humain, Manuel Vázquez Montalbán, père du détective barcelonais Pepe Carvalho, l'exprime simplement : Selon moi, la cuisine est une métaphore de la culture. Si nous dévorions l'animal mort ou la laitue arrachée tels quels, d'aucuns diraient que nous sommes  sauvages. Maintenant, si nous faisons mariner la bête en vue de l'accommoder plus tard avec des herbes de Provence et un verre de vin vieux (j'y ajouterais pour ma part de la coriandre), alors nous avons mis en œuvre une délicate opération culturelle. L'une des différences de l'homme et de l'animal, c'est en effet que l'homme cuisine.

Cette culture du goût, cette importance de la saveur constituent également un enjeu de santé publique. Manger local si possible, mais surtout prendre son temps pour manger (comme le préconise le mouvement du slow food) sont autant de réflexes de santé, qui n'altèrent en rien le charme délectable de la bonne chère et le plaisir non coupable d'un bon verre de vin.

Je crois enfin que le goût véritable ne peut s'éprouver que dans le partage. Le goût, c'est aussi le goût des autres. C'est un truisme, il suffit de penser aux artisans du goût, à tous ces métiers de bouche. Un cuisinier ne cuisine pas pour lui, de même qu'un boulanger, etc. Et d'ailleurs, les artisans qui animent ce salon en constituent le témoignage éloquent. C'est un lieu de rencontres inattendues et chaleureuses, de découvertes plurielles, et, naturellement, de goûts joyeusement partagés.

Je vous remercie de votre attention et je vous remercie de votre bienveillance pour mon addiction à la cuchaule.


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