«Accompagner la croissance - préserver le miracle suisse»

Berne, 09.01.2014 - Interlaken, 09.01.2014 - Allocution du président de la Confédération Monsieur Didier Burkhalter lors de la conférence annuelle des gouvernements cantonaux - Seul le texte prononcé fait foi

Monsieur le ministre des Affaires étrangères, cher Miroslav Lajčák,
Monsieur le Président du Conseil des Etats,
Monsieur le président de la Fondation ch,
Monsieur le président de la Conférence des gouvernements cantonaux,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les conseillers d’État,
Mesdames et Messieurs,

1. Introduction

Vous êtes réunis ici aujourd’hui pour discuter de la libre circulation des personnes et de la migration. La date n’aurait pas pu être mieux choisie: dans un mois exactement, le peuple suisse se prononcera à ce sujet par la voie des urnes.

Or, la votation du 9 février ne tourne pas seulement autour de la question de l’immigration. L’enjeu est bien plus vaste: Nous devons décider si nous sommes favorables à une ouverture raisonnable de notre pays et à la poursuite de la voie bilatérale avec l’Union européenne et ses États membres.

La voie bilatérale avec l’UE est aujourd’hui la voie la plus prometteuse pour la Suisse dans son environnement européen. Elle est synonyme d’indépendance et de prospérité pour notre pays. La libre circulation des personnes est au cœur du dispositif bilatéral. Elle nous fournit la main-d’œuvre dont notre économie a besoin pour rester performante. Si nous voulons poursuivre durablement sur cette lancée, nous devons prendre au sérieux les inquiétudes de la population et relever tous ensemble les défis posés par la croissance, en adoptant des mesures ciblées.

Il n’y a toutefois pas d’alternative qui serait préférable à la libre circulation des per-sonnes, à la migration régulée par les forces du marché. Nous pourrions certes ap-pliquer ad absurdum la fausse solution que propose l’initiative en fixant les contin-gents à un niveau si élevé qu’ils n’auraient plus qu’un effet négligeable sur l’immigration. Ce n’est pas ce que vise l’initiative, mais nous pourrions ainsi satisfaire aux besoins de nos entreprises, de nos hôpitaux, de nos restaurants, de nos hôtels, et  nos exploitations agricoles. Ce contingentement n’introduirait aucune limitation mais serait source d’incertitude, de lenteurs et d’inertie pour les entreprises. Il entraînerait des coûts qui pèseraient sur la croissance économique. Les entreprises hésiteraient à venir s’installer en Suisse.

À l’inverse, on pourrait fixer les contingents à un niveau trop bas, de telle sorte qu’ils ne correspondent plus aux besoins de l’économie suisse. Là encore, la croissance économique du pays en souffrirait. Par ailleurs – et c’est essentiel – l’initiative mettrait en péril l’ensemble de la voie bilatérale de la Suisse avec l’Union européenne et ça c’est un grave danger pour notre économie, notre prospérité, nos emplois.

Dans les deux cas, nous n’obtiendrions ni amélioration de la situation, ni solution crédible, mais de nouveaux problèmes, des surcoûts et un frein à notre prospérité.

2. Importance des relations Suisse-UE

Le modèle suisse, couronné de succès, se fonde sur la sécurité, l’indépendance et la prospérité. Des institutions comme la démocratie directe, le système de milice et la structure fédéraliste de l’État garantissent la proximité avec le citoyen et la stabilité politique.

Vers la fin de l’année qui vient de s’achever, une chaîne de télévision publique française a d’ailleurs consacré une soirée très intéressante à l’analyse des recettes du succès de la Suisse. «Y a-t-il un miracle suisse ?» se demandait le titre de cette émission et elle identifiait entre autre l’innovation, la formation, le fédéralisme, la démocratie directe et les principes libéraux qui régissent notre marché du travail comme éléments essentiels de notre succès.

N’oublions pas cependant que notre succès repose aussi sur notre ouverture et sur nos liens avec l’Europe voisine. Et ce, depuis toujours! Au Moyen Âge déjà, le commerce était la clé du succès et de l’indépendance de nos vallées. Le sel, indis-pensable dans les cuisines et les étables des habitants des Waldstätten, provenait notamment de la Tunisie. Depuis sa fondation, la Suisse est un pays d’ouverture et de commerce, deux facteurs clés de sa réussite.

La Suisse est située au cœur de l’Europe. Elle partage des valeurs culturelles et historiques avec les Etats de ce continent et avec l’Union Européenne. C’est donc à juste titre que l’orateur qui m’a précédé, Monsieur le ministre des Affaires étrangères Lajčák, alors qu’il était directeur auprès de la Commission européenne, a qualifié la Suisse de «plus proche voisin aux points de vue culturel, historique et géographique». Je tiens à remercier Monsieur Lajčák d’être présent parmi nous et de nous donner l’occasion de nous revoir ici à Interlaken, après que je me suis rendu en Slovaquie pour une visite de travail en août dernier. Lors de cette visite, nous avons notamment échangé nos points de vue sur les activités du «Groupe de Višegrad».

Il s’est révélé que les États membres de ce groupe, à savoir la Slovaquie, la Po-logne, la Hongrie et la République tchèque nourrissent des projets analogues à ceux de la Suisse pour ce qui est du développement et de la sécurité de la personne humaine dans le cadre du Partenariat oriental. Les États membres du groupe de Višegrad se sont rapprochés pour obtenir plus de poids au sein de l’UE, à la manière des cantons, ces «États membres de la Suisse». Ils se réunissent à l’occasion de conférences régionales ou thématiques, à l’instar de ce que nous faisons ici à Interlaken, pour faire entendre leur voix. Cher Miroslav, vous devez en fait vous sentir comme chez vous, dans le présent cercle de ce «Groupe d’Interlaken» des cantons suisses!

Dans le cadre de la politique européenne de voisinage, le partenariat avec les pays de l’Est n’est qu’un parmi les nombreux projets grâce auxquels l’UE dispense la prospérité aux gens et leur ouvre des perspectives, assurant ainsi durablement la paix et la stabilité en Europe. Saluons ces acquis et n’oublions jamais que l’Europe après la guerre n’était qu’un champ de ruines.

Mesdames, Messieurs,

Nous débutons l‘année 2014 qui marquera les 100 ans du déclenchement de la première guerre mondiale et les 75 ans des débuts de la seconde guerre mondiale. J’ai souhaité, au cours de cette année, pouvoir dialoguer avec des écoliers et étu-diants suisse sur la catastrophe de 1914-18 et sur la politique de paix de notre pays aujourd’hui. Car il est de notre devoir – surtout à l’égard de la jeunesse - de ne ja-mais oublier que ces deux conflits mondiaux ont démarré en Europe, de la suite en particulier d’accumulations de tensions et de frustrations insuffisamment gérées et de réflexes nationalistes. Tous deux ont été des cataclysmes majeurs pour notre continent, pour l’ensemble de notre planète, pour l’humanité entière.

Dans les replis les plus sombres des tranchées de Verdun ou d’ailleurs comme dans les recoins les plus atroces des camps d’extermination à Auschwitz ou d’ailleurs, c’est la notion même d’humanité qui a été défiée comme jamais auparavant. Dans les regards des hommes, des femmes et des enfants, victimes civiles ou militaires de ces drames, c’est la lueur même de l’humanité qui était en train de s’effacer pour laisser place qu’à la nuit et au brouillard.Les commémorations de 2014 nous rappellent notre devoir collectif d’éviter que de tels conflits puissent à nouveau se reproduire.

Divers projets d’intégration européenne, de développement, de stabilité, de paix et de démocratie en Europe sont nés sur les cendres d’un continent meurtri: le Conseil de l’Europe, puis les Communautés européennes, ou plus tard l’AELE et l’OSCE. Un de ces projets est celui des Communautés européennes devenues Union européenne voici 20 ans. Porté par l’effort remarquable de réconciliation franco-allemand, ce projet a conduit à l’ouverture des frontières et à la création du plus grand marché intégré du monde, qui est aussi un débouché essentiel pour l’économie suisse. Ce projet, puis après la chute du mur de Berlin, voici 25 ans cette année, son extension à désormais treize pays de l’Est européen a apporté développement économique, stabilité et paix sur notre continent. La paix et le développement plutôt que les nationalismes exacerbés et la guerre, le développement économique plutôt que la fureur des armes, c’est ce qui a été récompensé en 2012 par le prix Nobel de la paix.


Mesdames, Messieurs,

La Suisse n’est pas membre de l’Union européenne et elle ne cherche pas à le de-venir. Le Conseil fédéral a réaffirmé à de nombreuses reprises ces dernières années – et on lui demande régulièrement de le redire, alors il le redit: la demande d’adhésion de 1992 est devenue sans objet aussi bien aux yeux du Conseil fédéral que de l’Union européenne.

Nous choisissons de vivre dans notre propre maison plutôt que de rejoindre l’habitation collective qui se construit juste à côté. Mais cela ne nous empêche pas de rechercher de bonnes relations avec nos voisins. Même si elle ne l’a pas rejoint, la Suisse doit reconnaître que le processus d’unification de l’Europe a été favorable pour le continent – et aussi pour la Suisse. En termes de paix, de sécurité, de stabilité et de développement du continent que nous avons en partage.

Par conséquent la Suisse aurait tort de se sentir menacée par l’UE. Elle doit au contraire la considérer comme un partenaire important et utile avec lequel il est possible, moyennant une volonté politique des deux côtés, de construire des ponts qui sont autant d’atouts pour les deux parties. La Suisse doit s’affirmer à l’égard de l’UE comme un partenaire d’importance: l’un de ses principaux partenaires commerciaux et l’un de ses principaux investisseurs. Un partenaire avec qui l’on discute d’égal à égal. La Suisse a raison de se faire entendre et respecter, mais elle n’a aucune raison objective de se comporter en victime ou en assiégée. Le processus d’unification européen renforce la Suisse, il ne la menace pas. La Suisse a assez de force et de caractère pour établir, avec ce voisin, une relation équilibrée et mutuellement favorable.

Pour cette raison, notre pays soutient ce processus d’unification de manière auto-nome. La contribution au titre de l’élargissement encourage les progrès écono-miques, sociaux et sociétaux dans les nouveaux États membres de l’UE. C’est un signe de solidarité de la Suisse, un signe de sa responsabilité dans le monde, mais aussi un geste dans son propre intérêt.

En août, j’ai eu l’occasion de visiter un des projets que nous soutenons ainsi en Slovaquie. L’aide de la Suisse y est dispensée dans un cadre très simple. Un ancien dépôt transformé, sans le moindre luxe, pour offrir aux sans-abri un lieu où se laver, manger chaud, dormir. J’ai vu comment la Suisse apporte là un peu de chaleur humaine et rend à ces hommes et à ces femmes de l’espoir et de la dignité. Voilà une contribution certes modeste, mais combien importante ! Le ministre des Affaires étrangères Lajčák nous a certifié à cette occasion que la contribution suisse n’était pas seulement appréciée dans une perspective financière, mais qu’elle était aussi comprise comme un signe de solidarité de la part du peuple suisse.

La Suisse assume aussi concrètement sa responsabilité à l’égard de la stabilité et de la sécurité du continent en président cette année, pour la deuxième fois, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE).

Mesdames, Messieurs,

La voie de la Suisse en Europe est un succès, mais elle est également positive pour l’Union Européenne. La Suisse est le deuxième investisseur (après les États-Unis) en Europe et son quatrième partenaire commercial par ordre d’importance. Deux tiers de notre commerce extérieur concernent les États de l’UE : 55 % de nos exportations et 75 % de nos importations. Les régions voisines de la Suisse occupent un rang privilégié à cet égard: le volume des échanges commerciaux avec le Bade-Wurtemberg est à peu près équivalent à celui des échanges avec les États-Unis ou avec le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud – les BRICS – réunis ! Le volume des échanges avec le Tyrol dépasse celui avec le Brésil. Le volume des échanges avec les régions frontalières italiennes dépasse celui avec la Chine.

La stabilité et la fluidité du commerce entre la Suisse et l’UE sont essentielles et contribuent de manière décisive à la prospérité de notre pays. La voie bilatérale nous garantit l’accès à l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Elle nous permet d’atteindre au mieux nos objectifs constitutionnels que sont, en sus de la sécurité, l’indépendance et la prospérité. C’est pourquoi le Conseil fédéral entend renforcer cet accès pour l’économie suisse et – là où c’est nécessaire – rénover la voie bilatérale. Par cette voie de la Suisse en Europe, notre pays a amélioré de manière systématique le cadre juridique, la compétitivité et l’attractivité de son économie par son accès au marché intérieur de l’UE. Le peuple suisse a reconnu le bien-fondé de cette voie bilatérale, qu’il a déjà confirmée à sept reprises lors de votations populaires depuis l’an 2000.

Les accords bilatéraux forment une armature juridique complexe. Il est vrai que les relations économiques entre l’UE et la Suisse sont complexes elles aussi. Et toutes les questions institutionnelles sont complexes et subtiles en Suisse – elles garantissent le respect de nos délicats équilibres internes. C’est la raison pour laquelle il y a longtemps déjà qu’un accord de libre-échange comme celui de 1972 ne suffit plus aux besoins de l’économie suisse. Contrairement aux accords bilatéraux, un accord de libre-échange ne prévoit aucune harmonisation de la législation et ne saurait répondre aux exigences qui découlent de l’étroite interconnexion des marchés de la Suisse et de l’UE.

Prenons l’exemple de l’industrie des machines, qui précisément dans la région de Thoune est un employeur important. Les accords bilatéraux garantissent une reconnaissance mutuelle des réglementations applicables aux produits. Les entreprises qui produisent ici peuvent donc se frotter à leurs concurrentes européennes à armes égales et accéder sans entraves au marché intérieur de l’UE. Dans un secteur aussi fortement régulé que la construction mécanique, c’est un facteur décisif de succès – tout particulièrement pour les petites et moyennes entreprises.

Si la Suisse veut continuer à marquer des points grâce à une économie forte et in-novante, elle a besoin des accords bilatéraux.

3. Une politique d’intégration bonne pour la Suisse

Mesdames, Messieurs,

La Suisse qui était une terre d’émigration puis, au XIXe siècle, un pays d’immigration, est devenue aujourd’hui une terre d’intégration. Son modèle d’intégration fonctionne bien, notamment parce que nous avons besoin des per-sonnes qui viennent s’installer ici et parce que notre économie dynamique leur fournit un travail. Aussi parce que notre immigration est essentiellement européenne, donc culturellement proche. Cette intégration participe à travers des femmes et des hommes à la construction de la Suisse et à sa réussite. Ils nous apportent leur savoir-faire qui vient renforcer le nôtre.

Nous en avons des exemples illustres. Pensons à Nicolas Hayek, né au Liban. A Meret Oppenheim, artiste plasticienne bernoise d’origine allemande. Pensons au joueur de tennis, Stanislas Wawrinka, né à Lausanne d’un père d’origine tchèque. Il y a encore beaucoup d’autres exemples de personnes plus ou moins connues qui aujourd’hui comme dans le passé aussi, ont contribué à faire la Suisse. Il suffit de citer le nom de Nestlé, d’origine allemande, de Patek, citoyen polonais, et son de son associé Philippe, d’origine française. Nous savons que l’histoire de l’horlogerie suisse doit beaucoup aux immigrés huguenots et à leurs descendants, dont notam-ment Abraham-Louis Breguet.  L’histoire à succès du Swiss made et de la Swissness, c’est aussi celle des étrangers que notre économie a si bien su intégrer. Ces travailleurs sont venus pour satisfaire aux besoins d’une économie forte et dy-namique mais aussi aux besoins de fonctionnement de nos institutions au service du public.

Vous êtes mieux placés que moi, Mesdames et Messieurs les Conseillers d’Etat, pour savoir que nos hôpitaux ou nos EMS ne tourneraient simplement pas sans une immigration qualifiée. 30% de notre personnel de santé est d’origine étrangère ; dans l’hôtellerie, 40% des employés sont des étrangers et dans la recherche – un moteur économique de notre pays - le taux est de 50%. Quant à l’agriculture suisse, elle emploie 20'000 personnes issues essentiellement des pays de l’Est du continent, dont elle a grand besoin en particulier dans les cultures maraîchères. Voilà pourquoi l’Union suisse des paysans s’oppose à l’initiative des contingents.

Notre économie et nos institutions ne peuvent se satisfaire de la seule main-d’œuvre suisse pour produire et prospérer. L’immigration intervient lorsque l’économie a besoin de main-d’œuvre et qu’elle n’en trouve pas suffisamment sur le territoire suisse. À l’inverse, lorsque les entreprises embauchent moins, les faits montrent que le solde migratoire diminue, même s’il le fait parfois avec un décalage dans le temps. En juin 2002, avec l’introduction de l’accord sur la libre circulation des personnes, la manière d’appliquer notre politique migratoire a changé. On est passé d’un système de contingents – lourd et bureaucratique – à un système basé, d’une part, sur la libre circulation avec les pays de l’UE et de l’AELE et, d’autre part, une limitation des ressortissants issus des pays tiers. Cette libéralisation de l’immigration à l’égard de la zone UE/AELE a entraîné de grandes simplifications administratives, un allégement important des coûts et des contraintes, notamment pour les entreprises, mais aussi  une plus grande flexibilité pour le marché de l’emploi. Et ce changement, en lien avec les autres accords bilatéraux, a entrainé une importante croissance économique pour notre pays. Car nous ne devons pas oublier que la croissance était la grande absente des années 1990.

Avec la libre circulation des travailleurs et prestataires de services, les bénéficiaires peuvent travailler là où ils trouvent un emploi, répondant ainsi directement aux be-soins de notre économie. S’ils n'ont pas besoin d’une autorisation de travail pour venir en Suisse, ils ne peuvent toutefois s’installer qu’à deux conditions essentielles:

- l’obtention d’un contrat de travail dans un délai de six mois
- ou la preuve de revenus suffisants et le respect des conditions de salaire et de travail du pays d’accueil.

Par ailleurs, les mesures d’accompagnement permettent de garantir que les condi-tions de travail et de salaire du marché suisse sont respectées. Ces mesures ont été renforcées récemment et de nombreux contrôles permettent de lutter contre les abus. Les cantons ont ici un rôle essentiel à jouer. Les contrôles permettent de véri-fier - sur le lieu de travail - le respect des conditions minimales et usuelles de travail et de salaire. Lorsque des cas de sous-enchères salariales sont constatés, des sanctions peuvent être prises contre les employeurs.

La libre circulation, c’est donc une ouverture maitrisée de la Suisse. A travers ces règles du jeu, ce sont les besoins du marché du travail qui déterminent la migration et cela à des conditions de travail et de salaire suisses. Ces règles sont plus effi-caces et plus utiles qu’un retour des frontières et des contingents. La libre circulation offre à notre pays la souplesse nécessaire pour mettre en adéquation – en matière d’emploi – l’offre et la demande.

L’initiative populaire sur laquelle nous allons voter le 9 février demande un plafon-nement des autorisations de séjour pour tous les étrangers. Ses auteurs réclament donc un retour au système des contingents. La Suisse a acquis une certaine expé-rience de ce système et elle sait qu’il ne permet en rien de limiter l’immigration. Au contraire: à l’époque des contingents, la main-d’œuvre étrangère venue en Suisse était plus nombreuse qu’aujourd’hui, où nous connaissons la libre circulation des personnes (1961: 204'862 brut, soit presque le double de l’immigration actuelle). Comme c’était le cas alors, le système des contingents entraînerait une augmenta-tion de l’immigration illégale, un accroissement du travail au noir et une détérioration des conditions de travail et de vie. Ce système implique en outre une très forte charge administrative pour les entreprises et les cantons. Les autorisations de travail sont toujours à la traîne des besoins de l’économie.

L’initiative n’offre donc pas la moindre solution aux défis posés par l’immigration mais crée de nouveaux problèmes et affaiblit la Suisse. Pourquoi vouloir opter pour un système qui présente de nombreux inconvénients, lorsqu’il est bien plus judicieux de préserver les acquis de la voie bilatérale, de les améliorer et – là où c’est nécessaire – de prendre des mesures d’accompagnement ciblées ? La réintroduction des contingents signifierait pour l’administration publique – cantonale et fédérale – de fixer des plafonds du nombre d’étrangers pouvant entrer dans notre pays, puis de distribuer ces chiffres par région et par secteur industriel. Il s’agirait ensuite de traiter des dizaines de milliers de demandes individuelles et de répartir d’une manière arbitraire les droits à l’immigration.

Ce système rigide et bureaucratique et ne correspond en rien au système d’économie libérale qui fait le succès de la Suisse. Les contingents ont, de plus, dans le passé incité à une immigration moins qualifiée que le système actuel.

Mesdames, messieurs,

La libre circulation est un atout pour la Suisse à plus d’un titre:

1. La libre circulation des travailleurs assure un apport en main-d’œuvre quali-fiée, clé du succès de notre économie. Le marché suisse du travail a très bien su absorber cette arrivée de main-d’œuvre. Le chômage est resté stable. La Suisse affichait 2,9 % de chômage en 2012. La Suisse connait ainsi avec la Norvège – qui pratique aussi la libre circulation – les taux de chômage les plus bas d’Europe. Nous avons aussi un des taux de chômage des jeunes les plus bas d’Europe, à moins de 3% (2,4% pour la tranche d’âge de 15-19 ans et pour 4% pour la tranche d’âge des 20-24 ans), soit très proche du taux de chômage de l’ensemble de la population. La Suisse n’est pas un pays qui laisse sa jeunesse au bord du chemin, loin de là, elle lui offre des perspec-tives et c’est essentiel! C’est cela aussi le miracle suisse.

Certaines entreprises auraient délocalisé tout ou partie de leur production si elles ne pouvaient pas avoir recours à la main-d’œuvre étrangère. C’est parti-culièrement vrai dans les régions comme l’arc jurassien. Dans les années 1920, on y installait ainsi des entreprises de l’autre côté de la frontière car on ne trouvait pas assez de main-d’œuvre qualifiée en Suisse. Une enquête dans le secteur de l’industrie des machines (MEM) montre que près de 60 % de ces entreprises craignent une baisse de compétitivité et d’innovation si la Suisse renonçait à la libre circulation des personnes. Le Conseil fédéral pré-fère conserver ces emplois en Suisse. Nous voulons exporter nos produits, pas nos emplois!

2. Deuxièmement la libre circulation participe en grande mesure au financement de nos principales assurances sociales. Elle participe notamment durablement au financement de l’AVS. La population suisse est vieillissante. Avec les taux de naissance actuels (1,53 enfant par femme), sans immigration la population suisse diminuerait d’un quart d’une génération à l’autre! La Suisse a donc besoin d’attirer une main-d’œuvre jeune et qualifiée, en particulier pour financer ses retraites. L’AVS ne fonctionne pas comme le 2e et le 3e pilier par capitalisation, mais selon le système de répartition. C’est la génération active qui finance «en direct» les retraites des générations qui sont aujourd’hui à la retraite.
 
Le vieillissement de notre population exerce une pression financière sur les assurances sociales. Or les ressortissants de l'UE – généralement plutôt jeunes et bien formés – sont des contributeurs nets à l’AVS. En 2012, ils con-tribuaient à hauteur de 6 milliards de francs, soit 22 % du premier pilier alors qu’ils ne touchaient que 15 % des prestations globales individuelles. Sans immigration, la partie assurance de l’AVS serait déficitaire depuis plus de 20 ans. Or l’AVS est dans les chiffres noirs depuis 2000! La différence se chiffre à plus de 3 milliards de franc par an ces dernières années (selon les chiffres de l’OFAS). Sur ces dix dernières années l’immigration a contribué positivement au financement de l’AVS pour un montant cumulé de plus de 25 milliards de francs.

Cet effet positif sur l’AVS va sans doute perdurer. L’immigration issue de l’UE/AELE est formée en grande partie par du personnel qualifié: 53% des personnes immigrant en Suisse possèdent un diplôme tertiaire.  Ces per-sonnes ont ainsi souvent des salaires qui leur permet de contribuer au-dessus du seuil de la rente maximale, donc d’être contributeurs net à l’AVS: ils versent plus qu’ils ne recevront jamais, en vertu du système solidaire de cette assurance.
 
3. Troisièmement, la libre circulation favorise l’intégration – en privilégiant les travailleurs venant de pays proches. La population étrangère qui arrive au-jourd’hui en Suisse, nous est proche culturellement. Deux-tiers vient des pays de l’EU et de l’AELE. Les Italiens, Français et Allemands représentent à eux seuls un tiersdes étrangers venant s’installer en Suisse. L’étude PISA la plus récente démontre – outre les bons résultats des écoliers suisses – que les mécanismes pour intégrer les enfants d’origine étrangère jouent leur rôle.

4. Quatrièmement enfin, la libre circulation qui va dans les deux sens, 435 000 de nos concitoyens (un tiers ayant le passeport suisse, deux tiers ayant une double nationalité) peuvent s’installer et travailler facilement dans les pays de l’Union européenne.

On le voit, la libre circulation des personnes est à de nombreux égards un avantage et une chance pour la Suisse et pour l’Europe. Elle est une importante alliée du miracle suisse.

4. Les réponses du Conseil fédéral aux défis actuels

Mesdames, messieurs

Si la Suisse a globalement profité ces dix dernières années de la libre circulation, l’augmentation de la population amène aussi son lot de difficultés et de défis. Bien sûr, il faut toujours gérer les phénomènes de croissance et cela prend parfois un peu de temps. Il faut notamment que les infrastructures suivent le rythme de la croissance.

Ces phénomènes ne sont pas uniquement le fait de la libre circulation. Dans le do-maine du logement, les difficultés existent depuis maintenant 50 ans et ne s‘expliquent pas uniquement par l’augmentation de la population mais aussi par la réduction de la taille des ménages, l’augmentation de la consommation de surface habitable l’augmentation du pouvoir d’achat, et une préférence à habiter dans les régions urbaines. Dans le domaine de la mobilité, on constate que le nombre de kilomètres parcourus en voiture et avec les transports publics a augmenté de manière constante depuis plusieurs années (distance totale en 2012: environs 14'000 km par personne). Mais ce sont les loisirs qui représentent la majeure partie des kilomètres ainsi parcourus, tous transports confondus, pas le travail. En 2012, ils représentaient 45 % des déplacements en Suisse, contre 31 % pour les déplacements liés au travail.Reste que la croissance retrouvée et l’immigration accroissent ces défis. Des solutions existent, elles demandent du temps et de la volonté politique.

Le Conseil fédéral travaille, en partenariat avec les cantons, ce dont je me félicite, à des mesures ciblées visant à lutter contre les effets collatéraux de la croissance. Ces mesures doivent nous permettre d’assurer durablement la qualité de vie et la prospérité. Les contingents ne permettent rien de tout cela.

Nous poursuivons trois axes:

i. Utiliser mieux encore le potentiel de la main-d’œuvre résidente pour lutter contre la pénurie de personnel suisse qualifié.
ii. Renforcer les mesures d’accompagnement pour lutter contre les abus en matière de salaire et d’emploi.
iii. Renforcer nos infrastructures.

Qu'est-ce que cela signifie concrètement?

i. Plusieurs mesures doivent permettre aux entreprises de recruter davantage de professionnels qualifiés directement en Suisse.

Pour cela, le Conseil fédéral poursuit en parallèle plusieurs objectifs:
o Relever le niveau de qualification par la formation
o Encourager l’innovation,
o Créer des incitations pour les travailleurs plus âgés
o Améliorer la conciliation entre vie professionnelle et familiale

ii. Nous avons renforcé les mesures d’accompagnement, notamment le système de sanction pour les employeurs ne respectant pas les salaires minimaux obligatoires prévus par les conventions collectives de travail. Le nombre d’inspections a augmenté et s’est professionnalisé, ce qui permet un contrôle ciblé et efficace des salaires: 39 000 entreprises et 152 000 personnes ont été contrôlées en 2012. Depuis mai 2013, les entreprises étrangères ont, de plus, l’obligation d’annoncer les salaires des travailleurs détachés. Les autorités peuvent alors enquêter si besoin afin d’éviter tout «dumping salarial».

iii. Et puis il y a les infrastructures que nous devons dans tous les cas adapter et moderniser pour rester compétitifs et maintenir le niveau des prestations. Le 9 février le peuple votera également sur le financement des infrastructures ferroviaires (FAIF/FABI). Le fonds global d'infrastructure ferroviaire non limité dans le temps prévu par ce projet servira à financer le maintien et l'exploita-tion du réseau, son extension et son adaptation aux besoins qui évoluent. Le Conseil fédéral prévoit également  une réforme du financement de la route pour 6 à 7 milliards par an. En juin 2013, il présentait les valeurs de référence du futur financement de la route, dont la pièce maîtresse est un Fonds pour les routes nationales et le trafic d'agglomération.

Quant au logement, le Conseil fédéral a lancé une modification de l’Ordonnance fédérale encourageant le logement à loyer ou à prix modérés afin de permettre aux organismes à but non lucratif d’acquérir du terrain en vue de construire. En ajustant la base légale, on favorise la construction de logements à prix modérés.

Voilà donc des exemples de mesures permettant d’accompagner la croissance plu-tôt que de la mettre sous l’éteignoir – de préserver à la fois le miracle économique suisse et la qualité de vie.

5. Conclusion: Ne mettons pas notre prospérité en jeu

Mesdames, messieurs,

Nous devons être à l’écoute des préoccupations des habitants de notre pays. Mais nous devons aussi les mettre en garde sur les conséquences des décisions à venir: la voie bilatérale, dont la libre circulation est la colonne vertébrale, a permis le retour de la croissance économique en Suisse. Elle nous assure emplois et notre prospérité. L’initiative des contingents mettrait probablement un terme à la voie bilatérale, priverait ainsi la Suisse d’un atout majeur et limiterait la croissance économique pour nous faire entrer dans une période de repli et de déclin. La sagesse populaire appelle cela «jeter le bébé avec l’eau du bain».

La question de l’ouverture de notre pays et des responsabilités qui en découlent ne cessera de revenir sur le tapis de la politique suisse ces prochains mois. Après la votation relative à l’initiative sur les contingents dans un mois, le peuple aura plus tard à se prononcer sur l’initiative d’Ecopop. Enfin, il y aura le probable référendum contre l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes à la Croatie. Ne nous berçons pas d’illusions: renégocier les accords relatifs à l’accès mutuel aux marchés, comme le demandent les auteurs de l’initiative des contingents, n’est guère envisageable. Le Conseil fédéral se défausserait de ses responsabilités à l’égard des Suisses s’il prétendait autre chose.
 

À cela s’ajoute le fait que les Accords bilatéraux I sont liés les uns aux autres par une «clause guillotine». Ces accords seraient caducs si l’accord sur la libre circulation des personnes devait être dénoncé. Les principaux accords relatifs à l’accès mutuel aux marchés seraient les premiers concernés, mais les accords de coopération en matière de recherche et de formation pourraient eux-aussi en faire les frais. La recherche en particulier: la Suisse est une des championnes du monde dans ce domaine, sa capacité de recherche et d’innovation est un des moteurs essentiels de notre économie à très haute valeur ajoutée. Or le plein accès de nos chercheurs et de nos laboratoires au système européen de la recherche ne pourra pas être assuré sans la voie bilatérale. C’est un risque sérieux grave qui pèserait sur les chances de succès de notre pays à moyen et long terme. Au fond si les chercheurs partent de Suisse, c’est avec eux une grande partie de notre richesse et de notre avenir qui s’en ira.

La voie de l’ouverture responsable a permis à la Suisse de poursuivre la voie de la croissance économique. Le rejet de la libre circulation des personnes remettrait fon-damentalement en cause la poursuite de la voie bilatérale et en tous les cas lui créerait de graves difficultés. On ne peut pas vouloir, comme le disent les porte-paroles des initiants, limiter l’immigration par des contingents sans que l’économie suisse n’en souffre. Elle en souffrirait. Le 9 février il faudra donc faire un choix en connaissant ses possibles conséquences. Notre jeunesse a un avenir et du travail. Des perspectives s’ouvrent devant elle en Suisse. Le Conseil fédéral et le Parlement veulent également fournir du travail et des perspectives aux générations futures. Pour ce faire, la Suisse et son économie ont besoin de relations stables avec l’UE. Voilà qui nous permettra de préserver le miracle suisse.


Le système des contingents n’est pas une alternative: lourd, il entraîne un surcroît de bureaucratie. Il est cher, il est inefficace. Il ne résout aucun des problèmes inhé-rents à la croissance de la Suisse mais soulève des nouveaux problèmes.

Ces prochaines semaines et jusqu’à la votation, le Conseil fédéral s’engagera pour montrer à la population quels sont les tenants et les aboutissants du scrutin – et nous vous remercions également de votre engagement, Mesdames et Messieurs les conseillers d’État, pour expliquer les conséquences de ce scrutin, afin que le peuple suisse vote en toute connaissance de cause.

Mesdames et Messieurs,

Je ne doute pas de votre engagement et j’apprécie hautement l’excellente coopéra-tion avec la Conférence des gouvernements cantonaux et en particulier avec son président de ces dernières années, Monsieur le Conseiller d’Etat Pascal Broulis. Merci, Pascal de cette coopération franche et constructive, au sein en particulier du «Dialogue national de politique européenne» que nous avons instauré voici deux ans et qui permet un échange direct et utile, sur des bases claires ! Je me réjouis également de la coopération à venir avec le nouveau président de la CdC M. le Conseiller d’Etat Jean-Michel Cina et avec toutes les instances de la CdC et des conférences cantonales spécialisées.

Je vous remercie de ce travail que nous avons mené et que nous mènerons en-semble, car la Suisse est forte quand elle fait équipe et qu’elle est unie. C’est ainsi que nous pouvons consolider le miracle suisse.

Je vous souhaite à tous, en ce début janvier, une année 2014 constructive et dyna-mique, faite de croissance et de perspectives, dans vos cantons et en Suisse!


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