«Mieux protéger les victimes de la guerre: un vrai progrès est possible»

Berne, 23.04.2015 - Genève, 23.04.2015 – Allocution d’ouverture du Conseiller fédéral Didier Burkhalter à l’occasion de la quatrième réunion des Etats sur le renforcement du respect du droit international humanitaire - Seul le texte prononcé fait foi

Monsieur le Président du CICR,
Mesdames et Messieurs les représentants gouvernementaux,
Mesdames, Messieurs,

La seconde guerre mondiale s’est terminée il y a septante ans, à quelques jours près. Après tant de souffrances infligées aux populations civiles, les Etats ont ressenti la nécessité de renforcer les règles du droit international applicables dans les conflits armés. Tirant les enseignements de ce qui s’était passé, ils se sont engagés dans les Conventions de Genève de 1949 à mieux protéger les blessés et malades, les prisonniers de guerre, les personnes civiles, donc tous ceux qui ne participent pas ou plus aux hostilités.

L’adoption de ces Conventions de Genève, quatre ans seulement après la fin de la seconde guerre mondiale, constitue une belle leçon de courage. Les atrocités commises durant la guerre ont fait prendre conscience à la génération qui nous a précédés combien il était important d’agir. Cette génération qui avait vécu la guerre n’était ni naïve, ni insouciante. Elle savait qu’une nouvelle guerre pouvait se déclencher à tout moment, avec des conséquences plus terribles et imprévisibles encore pour l’humanité depuis l’apparition de l’arme atomique.

Parce qu’elle connaissait les dangers, parce qu’elle avait éprouvé dans sa chair les souffrances de la guerre, elle a voulu renforcer le droit international humanitaire.

Nous sommes aujourd’hui devant un défi d’un autre type. Les guerres, qu’elles soient internationales ou internes, sont aujourd’hui plus complexes. Dans les conflits armés actuels, le nombre de victimes est plus élevé parmi les populations civiles que parmi les combattants, et ces souffrances des populations civiles ne sont pas dues à l’absence de règles, mais au fait qu’elles sont souvent bafouées. 

Les besoins humanitaires sont aujourd’hui immenses. Ils n’ont jamais été aussi élevés depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Au Moyen-Orient, en Afrique, ailleurs dans le monde, nous sommes les témoins des souffrances indicibles des populations civiles affectées par des conflits armés. Plus de 50 millions d’enfants, de femmes et d’hommes sont des réfugiés ou des déplacés internes. Dans certains pays en guerre, l’espérance de vie a été réduite brutalement de 10 ou 20 ans. Des générations entières d’enfants sont privées d’un accès normal à l’école et menacées d’analphabétisme.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour identifier les moyens de répondre à ces défis. Nous sommes chargés de la lourde et importante responsabilité de « respecter et faire respecter » les engagements pris. Car chaque violation du droit humanitaire est une violation de trop.

Mesdames, Messieurs,

Respecter le droit humanitaire, c’est reconnaître que même dans un conflit armé il y a des limites d’humanité à ne pas dépasser. C’est respecter des valeurs morales qui se retrouvent dans les différentes cultures et religions du monde. Dans leur acceptation, les Conventions de Genève ont connu un succès incomparable. Aucun autre traité multilatéral ne fait l’objet d’une adhésion aussi universelle. C’est la preuve, s’il en fallait, que les Conventions de Genève protègent des valeurs communes à l’humanité toute entière.

Il faut le rappeler avec force, à l’heure où certains groupes armés non étatiques mettent en scène des violations du droit international humanitaire et prétendent remettre ainsi en cause l’universalité de ces valeurs. Il n’y a pas de doutes sur la validité universelle de ce corps important du droit international. La protection des plus vulnérables est une valeur universelle.

Respecter le droit international humanitaire, c’est aussi se donner de meilleures chances de voir triompher nos valeurs au service des êtres humains. Un combat ne se mène pas seulement par des moyens militaires. Il doit être gagné aussi sur le terrain des convictions, en restant fidèle à nos principes et à nos valeurs. Les Conventions de Genève interdisent que l’on viole des règles sous prétexte que l’adversaire ne les respecterait pas lui-même.
Respecter le droit international humanitaire, c’est aussi préparer l’avenir. Le respect de ces règles facilite la reconstruction et la réconciliation après les conflits. A l’heure où nous sommes confrontés à des conflits armés qui se prolongent, avec des phases de haute et de basse intensité, il est important de réaliser que le respect du droit international humanitaire aide à s’assurer le soutien des populations affectées. Il contribue ainsi à la stabilisation de la situation sécuritaire et à prévenir de nouvelles éruptions de violence armée.

Le respect du droit humanitaire n’est donc pas seulement un impératif moral mais également stratégique. L’un des pères de la Croix-Rouge, le général Dufour, avait exprimé avec clairvoyance ce double intérêt. Avant de présider la conférence diplomatique qui adopta la première Convention de Genève en 1864, il avait servi comme commandant en chef des armées fédérales durant la brève guerre civile que connut la Suisse en 1847. Le général Dufour comprit qu’il ne s’agissait pas seulement de gagner la guerre, mais surtout de gagner les esprits et les cœurs. Il y parvint grâce aux règles strictes qu’il imposa à ses troupes et à l’humanité dont il sut faire preuve dans la conduite de la guerre.

Il avait déclaré à ses soldats : « Il faut sortir de cette lutte, non seulement victorieux, mais encore sans reproches ; il faut qu’on puisse dire de vous : ils ont vaillamment combattu, quand il le fallait, mais ils se sont montrés partout humains et généreux ». Cet enseignement est plus actuel que jamais.

En 2011, la Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a invité le CICR et la Suisse à consulter les Etats et les autres acteurs intéressés sur les moyens de renforcer le respect du droit international humanitaire et à encourager un dialogue entre les Etats sur cette question. Nous avons investi du temps et beaucoup d’efforts dans l’accomplissement de ce mandat. Nous avons veillé à consulter tous les Etats, dans le cadre d’un processus ouvert, participatif et transparent, afin de s’assurer du soutien le plus large possible.

Ce processus de consultation a servi d’abord à analyser les raisons pour lesquelles les mécanismes de mise en œuvre définis dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels ne fonctionnent pas de manière satisfaisante. Il a permis aussi d’explorer des pistes pour améliorer cette mise en œuvre.

Un des points essentiels qui ressort des consultations est l’existence d’une lacune institutionnelle dans la mise en œuvre du droit international humanitaire. Un cadre institutionnel permettrait de créer les conditions nécessaires pour mener un dialogue et faciliter les échanges entre les Etats.

Il s’agit de renforcer l’importance et la visibilité du droit humanitaire en incitant les Etats à discuter, de manière régulière, de son application. Il y a aujourd’hui une large convergence de vues sur la nécessité d’avoir une enceinte institutionnelle propre au droit international humanitaire. Les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels méritent un forum spécifique, qui leur accorde toute l’attention nécessaire.

Toutes les grandes conventions multilatérales prévoient une conférence des Etats parties ou un autre type de forum institutionnel où les Etats se réunissent, à intervalles réguliers, pour aborder des questions d’intérêt commun dans l’application des engagements pris et pour discuter des défis actuels. Il est temps de remédier à ce défaut dans la mise en œuvre des Conventions de Genève. Nous devons saisir la chance historique de combler cette lacune institutionnelle.

Que peut-on attendre d’une telle réunion des Etats ?

Les bénéfices attendus sont de plusieurs ordres :

  • en premier lieu, elle devrait donner au droit international humanitaire une place plus grande sur l’agenda international et dans les priorités des gouvernements. Elle contribuera ainsi à une meilleure connaissance de son contenu et de ses spécificités ;
  • deuxièmement, elle donnera l’occasion aux Etats de débattre des défis actuels et d’identifier ensemble des pistes pour les surmonter. Elle permettra aussi, à travers un mécanisme de rapports nationaux, d’échanger des informations pertinentes et des exemples de bonnes pratiques ;
  • troisièmement, elle pourrait aider à mieux identifier les besoins éventuels en matière d’assistance technique et faciliter ainsi le renforcement des capacités des Etats à remplir leurs obligations au regard du droit international humanitaire ;
  • enfin, en réunissant sur une base régulière les responsables gouvernementaux en charge du droit international humanitaire, elle devrait contribuer à renforcer les contacts entre experts et à encourager des coopérations ou partenariats.

En d’autres termes, cette réunion des Etats permettra un dialogue régulier et institutionnalisé entre les Etats parties aux Conventions de Genève sur leur mise en œuvre. Ce forum doit, évidemment, être ouvert aussi à une interaction avec les différents acteurs humanitaires, notamment avec les organisations qui s’engagent sur le terrain pour une meilleure protection des victimes des conflits armés.

Ce nouveau mécanisme ne doit pas servir à montrer d’un doigt accusateur l’un ou l’autre. Il vise à aider à la mise en œuvre et à créer un environnement favorable à un meilleur respect du droit humanitaire.

Il vise à mieux protéger des êtres humains qui souffrent déjà bien assez en étant contrait de subir les affres de la guerre. C’est pour eux que le droit humanitaire a été développé, c’est pour eux que nous devons mieux l’appliquer.

Mesdames, Messieurs,

Nous entrons à présent dans la dernière phase du processus de consultation co-facilité par la Suisse et le CICR. Cette réunion est la dernière de ce processus de consultation. Elle doit servir à consolider le travail de ces dernières années et à discuter de certaines questions. Les divergences qui demeurent ne sont pas fondamentales et peuvent être surmontées.

A l’issue de cette réunion, un rapport final sera préparé en vue de la prochaine Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui se réunira à Genève en décembre prochain. Le CICR et la Suisse y formuleront des options et recommandations concrètes, sur la base des résultats de cet intense processus de consultation. Il appartiendra aux Etats de saisir la chance de de les mettre en œuvre ; il leur appartiendra d’assumer ainsi leur responsabilité collective de veiller au respect du droit humanitaire et de contribuer à une meilleure protection des victimes de la guerre.

Mesdames, Messieurs,

Nous avons bien cheminés ensemble. Il reste du travail dans la définition des modalités de fonctionnement de cette réunion des Etats pour le respect du droit international humanitaire. C’est un travail que nous devrons accomplir ensemble, en unissant nos efforts. Il est important de maintenir l’élan jusqu’au bout du processus.

Aux côtés du CICR, la Suisse s’est engagée dans cette initiative. Elle est prête à continuer à le faire avec détermination - sur le plan diplomatique et financier - afin de mener à bon port cette initiative et d’assurer le bon fonctionnement à l’avenir de cette réunion des Etats pour le droit international humanitaire ; et aussi avec chacun et chacune d’entre vous.


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