Monsieur le Président du Salon du livre,
Monsieur le Conseiller d’Etat,
Monsieur le Maire,
Excellence,
Monsieur le Président du Conseil général de Haute-Savoie et de l’Assemblée des Pays de Savoie,
Mesdames, Messieurs,

Nous sommes réunis ici grâce au livre, autour du livre, vecteur du savoir et de l’émotion. Comme vous certainement, j’ai un lien réel, à la fois affectif  et rationnel avec les livres qui m’accompagnent depuis toujours. Comme vous, j’apprécie cette possibilité d’entrer dans une histoire, de se projeter, de laisser voguer son imagination. La littérature a cette capacité extraordinaire d’interpeler en silence notre mémoire et notre imaginaire : elle nous invite – nous force même un peu parfois - à un voyage intérieur.

Comme pour beaucoup, ma passion pour les livres remonte à l’enfance. Très jeune, j’ai dévoré avec avidité presque tous les romans de Jules Verne. Pour exercer la fonction de conseiller fédéral – qui est un véritable « voyage au centre de la… Suisse » - je vous assure qu’il vaut mieux avoir pris goût très tôt à l’aventure !

Entrer dans ces « Voyages extraordinaires », dans un monde romanesque, imaginaire et parsemé de technologies, a contribué à développer ma curiosité, à m’interroger sur les autres, c’est un éveil au monde. Et c’est aussi une manière de relativiser : devant l’ampleur des réformes qui attendent la santé publique ou les assurances sociales, je me dis parfois que le tour du monde de Phileas Fogg non seulement permettait de prendre de la hauteur mais aussi ressemblait à une promenade de santé… !

Après Jules Verne, ma passion pour la littérature n’a fait que grandir : c’est Malraux et son « Espoir », Camus et « L’étranger », Ramuz et « La montagne », ou encore la Russie profonde de Dostoïevski ainsi que l’Espagne déchirée d’Hemingway qui m’ont ouvert les yeux et le monde. A coup de mots, le long des lignes, à force de pages.

Les livres fascinent. Même ceux qui ne lisent pas – ou refusent de lire - semblent fascinés : les livres ou les bibliothèques sont depuis toujours les proies de fanatiques ou de gardiens autoproclamés d’un supposé ordre moral. Que l’on pense au premier empereur de Chine, Qin Shi Huang , qui brûla les écrits confucéens pour asseoir son pouvoir, peut-être aussi à la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie – attentat ou accident ?
Les historiens divergent ici – et assurément à l’autodafé de mai 1933 sur la place de l’Université de Berlin. Les livres sont apparemment vulnérables. Mais leur pouvoir est le plus grand, car à travers leur destruction même, on accroît leur symbolique, ou on souligne leur force ; leur liberté, qui est un voyage sans fin.

Entrer dans un livre, tourner la page, c’est bel et bien partir en voyage. C’est partir à la rencontre d’autrui, de soi-même, entrer dans le silence pour dialoguer avec une autre pensée, c’est laisser libre cours à son imagination.

Le livre reste et restera toujours la porte d’entrée privilégiée aux mondes de la culture, de l’émotion et du savoir.

Lire, c’est donc voyager sans se déplacer ! Mais si le livre est un voyage, il est aussi le compagnon privilégié du voyageur. Que fait-on dans un train ou un avion – il semble qu’ils volent à nouveau  – ou un aéroport – en attendant que l’avion décolle ? On lit ! Souvent le voyageur fait un double voyage, en soi et dans le monde ! Comme des héros de Jules Verne, il entre dans un volcan…

La lecture et le livre, ce sont des plaisirs intellectuels, émotionnels, mais aussi esthétiques et sensuels : le livre est beau au regard, il est doux au toucher !  En ce sens, aussi, il est irremplaçable – et je pense qu’il le restera.

Le livre ouvre des champs de réflexions, tout en ne donnant pas de réponse toute faite. Il interroge, impose au lecteur de faire son chemin, c’est ce qui me plait dans ce « média » exigeant. Car la lecture est un apprentissage lent et ardu, un effort personnel – qui prend le temps pour mieux le respecter. Aujourd’hui, la lecture est souvent en rude conflit avec d’autres loisirs, plus faciles d’accès.

Mais la lecture est, comme l’a dit François Mauriac, « une porte ouverte sur un monde enchanté ».

Dès son plus jeune âge, l’enfant devrait rencontrer sur son chemin des compagnons de lecture - ses parents, ses frères et sœurs, son entourage - de personnes prêtes à lui lire des livres, à partager des histoires, à l’introduire dans ces mondes merveilleux. Ce sont ces moments d’intimité et de partage autour d’un livre qui donnent aux enfants le goût de la lecture – qui lui entrouvrent la porte sur ces mondes enchantés qu’il peut visiter sans même quitter sa chambre.

Il faut qu’un enfant puisse s’approprier les livres, en faire ses compagnons de jeu, qu’il les ait entre ses mains. « Tu dois m’apprivoiser !» peut-être que c’est en fait le livre qui parle à l’enfant à travers les mots du renard de St-Exupéry.

Mesdames et Messieurs,

L’accès à la culture et à la littérature est une préoccupation importante pour le Conseil fédéral. Comment s’assurer qu’il y aura toujours demain des récepteurs critiques et intéressés à la littérature?

L’important est non seulement de familiariser les enfants avec les livres, mais surtout de donner le goût de la lecture aux jeunes. Dans ce domaine, la Confédération, via l’Office fédéral de la Culture, soutient diverses associations, par exemple l’Institut suisse Jeunesse et Médias qui développe et anime des projets de promotion de la lecture destinés aux enfants et aux jeunes.

Il est aussi important de donner la possibilité aux adultes qui rencontrent des difficultés à lire de s’approprier ce plaisir. La Confédération s’engage aussi contre l’illettrisme en soutenant notamment la Fédération suisse lire et écrire et divers projets nationaux.

Le plaisir de lire constitue la première étape sur le long parcours pour devenir un lecteur critique qui ose refuser les affirmations arbitraires et qui donne du sens à ce qu’il lit.

Le Salon du Livre a eu l’excellente initiative d’inviter la Suède, comme pays hôte de cette édition. Je m’en réjouis car ce pays a beaucoup donné à la littérature. Si la Suisse est fière d’avoir notamment offert au monde Heidi grâce à Johanna Spyri, la Suède n’a rien à lui envier qui a inventé Fifi Brindacier (Pippi Långstrump en suédois… presque comme en Suisse allemand d’ailleurs), le personnage d’Astrid Lindgren. Ce personnage hors du commun rejette l’autorité parentale et a soif de liberté. Si l’on extrapole, cette jeune fille symbolise le citoyen de nos démocraties suédoise ou suisse, qui interroge l’autorité politique, qui a soif de vérité et veut se forger sa propre opinion en toute liberté. Le Conseil fédéral voit bien que les Suisses sont autant de Fifi Brindacier qui demandent à comprendre et à être convaincu à chaque scrutin… Monsieur l’Ambassadeur, j’en déduis que beaucoup de parents suisses ont lu quasiment tous les soirs les aventures de Fifi Brindacier à leurs enfants… !

Mais la Suède a évidemment donné encore beaucoup plus à la littérature universelle : comme la Suisse ne se cantonne pas à Heidi.
La Suède c’est également bien sûr Selma Lägerlöf, Sven Nordqvist, Henning Mankell ou les auteurs de romans policiers tels que Stieg Larsson et le formidable succès planétaire de la trilogie Millénium, Camillla Läckberg, princesse des romancières qui nous glace les sangs, ou encore Jens Lapidus ou Mari Jungstedt. A découvrir la littérature policière suédoise, on se dit qu’en s’approchant du cercle polaire on excelle dans les polars qui font frissonner !

Le Salon du livre a aussi été bien inspiré d’inviter nos voisins des pays de Savoie qui célèbrent cette année les 150 ans de leur rattachement à la France. Les visiteurs du Salon pourront ainsi écouter la voie de la Savoie… et découvrir ou redécouvrir les trésors culturels et naturels d’une région qui n’en manque pas. Des voisins à qui nous souhaitons, Monsieur le Président du Conseil général, de remporter non seulement des prix littéraires, mais aussi quelques trophées  olympiques !

Pour donner l’accès à tous au monde enchanteur des livres, il faut ce salon. Mais il faut aussi des libraires et des bibliothèques.

La librairie, est un endroit à la fois « presque sacré » et si vivant : on y fait des découvertes, on feuillette, on cède à ses impulsions d’achat – qu’on ne regrette presque jamais - on admire une couverture ou un ouvrage d’art, on chaparde quelques phrases, on y voyage immobile… et on en repart les bras chargés !  Lorsque j’étais étudiant  – même si je n’avais pas beaucoup de moyens – je rentrais presque quotidiennement dans des librairies pour y picorer ces petits moments de plaisir, de culture et de liberté – je n’achetais pas toujours quelque chose, mais je  recevais tous les jours beaucoup.

Quant aux bibliothèques, elles aussi ont un statut bien particulier : elles sont bien davantage qu’un simple lieu où l’on vient chercher des livres, un endroit de culture et d’échange, un centre de ressources et un centre de compétences.

Comme la Suède, la Suisse a développé un réseau dense de bibliothèques. La Confédération soutient financièrement la Fondation Bibliomedia, centre de compétences pour les bibliothèques et en matière de soutien à la lecture. Mais il faut surtout relever l’engagement des autorités communales et cantonales, des écoles et des universités qui mettent à disposition du public suisse – des amateurs aux des experts les plus pointus – un réseau dense de bibliothèques, qui sont d’ailleurs de plus en plus interconnectées.

Pour les enfants et les adolescents, la bibliothèque – qu’elle soit publique ou universitaire - ou la librairie, ce sont des lieux de liberté : ni la famille, ni l’école.
Ils peuvent y lire avec leurs pairs ce qu’ils ont envie, se forger leurs propres opinions et développer leurs propres affinités littéraires. Voilà des lieux essentiels de la vie au cœur de la cité !

Mesdames, Messieurs,

Le livre se décline et se développe actuellement de nombreuses façons. Le monde du livre comme le  monde des « médias » en général est en pleine transformation. Les supports, les manières de lire, la durée de vie des livres, le nombre croissant de livres édités – et surtout la perception que l’on a du livre – de l’écrit – changent très rapidement.

Les nouvelles technologies, via les livres digitaux ou les livres audio, auront-elles le pouvoir d’attirer des lecteurs actuellement en panne ? Nous ne pouvons que le souhaiter, afin d’ouvrir au plus grand nombre ce « monde enchanté ».

Le Salon nous permet de goûter au livre avec délectation : « à consommer sans modération ! », et c’est le ministère de la santé qui vous le dit. Le succès ce de salon, année après année, est mérité et je félicite son président, Monsieur Pierre-Marcel Favre, et ses organisateurs pour leur engagement.

Et laissons-nous porter au hasard des allées du Salon. Car le plaisir de lire relève aussi parfois du hasard, de la découverte. Il y a des livres qui passent de mains en mains, qui connaissent un succès incroyable, sans que les critiques n’en parlent ni que les auteurs ne passent à la télévision. Je pense ici notamment à Noëlle Revaz. Si aujourd’hui le talent de cette auteure est justement reconnu, ce qui lui vaut de prestigieux prix, son premier roman, « Rapport aux bêtes  sorti en 2002, avait rencontré un large public grâce au seul bouche à oreille. C’est un succès à « génération spontanée » qui a valu à ce livre d’être adapté au cinéma par Séverine Cornamusaz sous le titre de « Cœur animal »…, qui a remporté le Quartz du meilleur film suisse de l’année 2010.

D’ailleurs je vous conseille également un autre mariage très réussi du film et de la littérature : « La femme aux 5 éléphants », un chef d’œuvre de Vadim Jendreyko, est consacré au parcours hors-norme de Swetlana Geier, une femme extraordinaire de 86 ans, née à Kiev, qui a traduit en allemand les 5 grands romans de Dostoïesvski, 5 romans considérés, de par leur ampleur, comme les 5 «éléphants» du grand auteur russe. Ce film a quant à lui gagné le Quartz du meilleur documentaire suisse de 2010. Pensez-y tout à l’heure lorsque vous remonterez la rue Dostoïevski dans ce Salon du Livre !

Comme la littérature et le cinéma occupent tous deux des places particulières dans mon cœur, je me réjouis particulièrement de l’union de ces deux arts majeurs pour des succès qui ne le sont pas moins.
Mesdames et Messieurs, écrire est un mariage de passion et de modestie ; c’est l’un de ces mariages qui durent. Expérience enivrante, passionnante, fascinante que ce travail d’écriture puis aussi d’édition. « Sherpa » inépuisable de l’auteur, l’éditeur accompagne, conseille, pour rendre possible ce qui – parfois – paraît inaccessible. Comme dit Jean d’Ormesson : « Ecrire est difficile, parce qu'on est toujours dépassé par son livre. »; par soi-même, d’abord, car le livre que l’on porte en soi – que l’on se met à … livrer, force à se dépasser soi-même, puis à la fin il vole de ses propres ailes. Œuvre de liberté, le livre vit lui-même librement. Et goûter à l’écriture, c’est voyager dans un monde libre dans lequel on a hâte de retourner !

2010 est une grande année littéraire en ce sens qu’elle marque l’anniversaire de la naissance ou de la disparition de plusieurs auteurs qui ont profondément influencé la littérature et la langue: Léon Tolstoï, Jules Renard, Jean Anouilh, Jean Genet, Alfred de Musset.

Le Salon du Livre a raison de rendre hommage à ces géants et particulièrement à deux d’entre à qui il consacre une exposition : Albert Camus et Paul Robert, père du dictionnaire homonyme.

Mais si le Salon a raison de rendre hommage à ces grands d’hier, il a surtout raison d’exister pour et par la littérature d’aujourd’hui, elle qui se juche sur les épaules de ces géants - pour reprendre la belle formule de Newton - qui se nourrit de leur travail, mais qui prend sa liberté et qui n’en devient que plus intéressante pour elle-même. Par son existence même, le salon nous permet avant tout de porter notre regard sur la littérature d’aujourd’hui et d’y dénicher de ces auteurs dont on se souviendra aussi demain.

Je vous souhaite, Mesdames et Messieurs, de belles découvertes en naviguant dans les rues et les boulevards de ce Salon du livre 2010 ! Laissez-vous porter par les courants littéraires ! Noyez-vous dans les romans-fleuves ! Surfez sans faire de vague sur les livres en vogue,  mais prenez gare aux romans de gare ! Redécouvrez des nouvelles anciennes ! Essayez-vous aux essais ! Appréciez la palette de couleurs du roman noir, de Suède ou d’ailleurs ! Partez à la rencontre de la Savoie, de ses saveurs, de ses savoirs ! Et profitez pleinement de ce roman romand, mais aussi suisse et international, de ce roman populaire, de ce roman philosophique, de ce roman interactif, mais surtout de ce roman à succès qu’est le Salon international du Livre et de la presse.

Salon du livre - "Le livre : porte d’entrée aux mondes de la culture, de l’émotion et du savoir"