Monsieur le Président du Conseil d’Etat,
Madame la Conseillère Administrative,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Dans notre monde de déflagrations, il faut que la paix soit une maison solide, une construction, l’une de ces constructions que l’on porte dans son cœur pour toute la vie.

La même idée a été exprimée par Saint-Exupéry lorsqu’il écrivait les jolies phrases suivantes : «Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres (…) ; fais naître dans leur cœur le désir de la mer.»

Ici, l’on remplace la mer et ses vagues infatigables par la paix et son souffle chaud. Nous voulons faire grandir le désir de paix dans le cœur des visiteurs de cette maison, pour l’insuffler loin dans le monde, par-delà les océans. Ce bâtiment est donc aussi un phare diffusant loin à la ronde, de Genève, le rayonnement de la paix.

Mais même cette maison solide ne doit pas nous donner des illusions : la paix est aussi à l’image de ces six pétales de verre. J’aimerais féliciter l’architecte neuchâtelois Eric Ott d’avoir su ainsi dompter les matières pour rappeler que la paix n’est jamais définitivement acquise. J’aimerais aussi exprimer ma gratitude au Canton et à la Ville de Genève, qui ont soutenu le bon déroulement de ce projet d’envergure, permettant de renforcer Genève dans son premier rôle : la paix dans le monde. Un grand merci, encore, à l’ «Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement » qui nous accueille et qui a été un acteur fondamental de cette belle construction en équipe.

Mesdames, Messieurs,

Des femmes et des hommes d’esprit et de cœur ont eu les visions nécessaires pour créer des institutions destinées à faire avancer l’humanité. Depuis plus d’un siècle, les organisations ancrées ici, comme le CICR et les Nations Unies, ont fait de Genève un don pour le monde.

L’importance de cette ville pour notre politique extérieure est telle que l’on doit aujourd’hui parler de la Suisse internationale par Genève. C’est pourquoi la Confédération a développé l’année dernière une stratégie, conjointement avec le Canton et la Ville, pour renforcer encore l’attrait et la compétitivité de cette cité de gouvernance mondiale. Nous voulons renforcer les synergies entre les organisations internationales, les ONG, le secteur privé et le secteur académique pour formuler les réponses aux grands défis de notre planète.

Accueillir encore mieux, échanger encore davantage, à l’image de cette maison… En ouvrant ces nouvelles portes, en effeuillant ces pétales de la paix que nous aimons passionnément, la Suisse envoie – cent ans après le début de la première guerre mondiale - un message au monde : la paix doit être une solide maison, mais elle demeure un bien fragile pour lequel nous devons constamment œuvrer.

Saint-Exupéry disait aussi qu’ « il est bon que le temps soit une construction ». Il est bon, également, que la paix soit une construction, une entreprise menée en commun, additionnant les engagements multiples. Il faut beaucoup de corps de métiers pour construire une maison ; il faut beaucoup de talents pour construire la sécurité.

Cette année, les crises sont aux portes de l’Europe : au sud, avec le groupement terroriste de l‘« Etat islamique » autoproclamé, la guerre civile en Syrie, le conflit à Gaza, la désintégration de l’Etat libyen ; à l’est, avec la crise en Ukraine et la polarisation qu’elle entraîne entre la Russie et les pays européens.

Dès lors, notre pays, la Suisse, dont le seul nom est pour beaucoup un symbole de paix, doit s’engager résolument en faveur de la sécurité. Si nous avons un clair intérêt à la stabilité mondiale, nous avons aussi une responsabilité : la Suisse neutre, la Suisse impartiale, la Suisse constructrice de ponts, cette Suisse-là est attendue pour construire, ailleurs aussi, les maisons de la paix…

La Suisse a établi ces dernières années une série d’instruments pour la promotion civile de la paix. Nous voulons tirer pleinement parti des valeurs de la Suisse pour notre politique étrangère : le dialogue, la recherche de compromis, le partage du pouvoir – entre les différents groupes de la société ou entre le centre et les régions – sont les ingrédients qui ont fait de la Suisse un havre de paix et de stabilité. Et c’est précisément cela qui manque tant ailleurs.

Ainsi, cette année, la Suisse ne cesse de construire des ponts dans le cadre de sa présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Un premier pont en prenant cette présidence sans être candidat, mais pour permettre à la Serbie de présider elle-même l’an prochain ; un deuxième pont en préparant un programme basé sur la recherche d’une communauté de sécurité au service des individus ; un troisième pont en maintenant le dialogue entre les régions euro atlantique et eurasienne malgré les tensions déchirantes de la crise ukrainienne ; et un quatrième pont, je le souhaite ardemment, en lançant un vrai débat sur l’avenir de la sécurité européenne après cette crise.

Aujourd’hui, autre pont : nous relions Genève et l’OSCE ; cette cité accueille en ce moment-même l’Assemblée parlementaire de l’OSCE et de ses 57 Etats. C’est une occasion de plus de rechercher la force d’imaginer partout – et malgré tout – des maisons de la paix ; et c’est une démonstration de la force conjuguée de Genève…

Mesdames et Messieurs,

Revenons dans ces nouveaux murs genevois. La paix doit donc venir des cœurs, mais aussi des esprits et de la volonté. Cette maison s’adresse à tous les trois : aux cœurs en s’établissant comme lieu de rencontre ; à l’esprit, comme lieu de réflexion ; et à la volonté, comme lieu d’action.

Ce regroupement de compétences pour la politique de paix et de sécurité, sans comparaison sur le plan international, est utile pour la Suisse et pour le monde.

Les organisations basées dans la Maison de la paix vont s’efforcer de renforcer les capacités des acteurs : les autorités nationales, les parlements, les partenaires de la société civile, les praticiens, les diplomates et le personnel militaire. Les standards, les lignes directrices et les bonnes pratiques en matière de paix vont y être développés, renforcés et adaptés. Le réseau d’expertise de ces organisations va permettre de fournir des solutions, en particulier pour reconstruire après les conflits.

Prenons un exemple : le Myanmar, qui doit tout reconstruire, qui doit tout améliorer, pourrait grandement bénéficier des services intégrés d’une telle maison de la paix pour mettre en place et renforcer ses institutions. Des premiers pas sont faits dans ce sens.

Autre exemple, l’Ukraine. Après les hostilités, les besoins du pays seront multiples. Soutenir le parlement nouvellement élu et réformer le secteur de sécurité : c’est la spécialité du Centre pour le contrôle démocratique des forces armées (DCAF). La nouvelle Constitution : l’IHEID dispose des experts juridiques. Démobiliser les différentes milices et unités irrégulières créées des deux côtés : le « Small Arms Survey » s’y connaît. Cartographier et rendre inoffensifs les explosifs qui contaminent les zones de combat : le Centre de déminage humanitaire est la première adresse au monde dans ce domaine. Répondre aux nécessités dans le domaine de la formation : c’est la spécialité du Centre de politique de sécurité et de l’IHEID.

Bref : nous avons ici, dans la Maison de la paix, une bonne partie de l’expertise et des moyens dont des pays émergents d’un conflit ont besoin. Nous voulons mettre ces moyens au service de ces pays. La Maison de la paix peut donc réellement faire rayonner Genève sur le terrain du monde.

Mesdames, Messieurs,

Le plus important pour la fin : une maison n’est jamais plus belle que quand elle s’ouvre à la jeunesse. C’est le cas ici.

La Maison de la paix est aussi celle des jeunes étudiants de l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement. Elle est celle des autres jeunes visiteurs venant de tous les horizons.

Au moment même où le monde se laisse attirer par les extrémismes, où de nombreux jeunes voient leur seule perspective dans la violence, alors que des régions entières semblent rebrousser leur chemin de temps et oublier les lumières de la civilisation, nous devons ouvrir notre cœur à l’avenir, aux jeunes, aux générations futures.

Si l’on veut vraiment construire ce monde comme une maison, alors il faut faire naître le désir de paix dans le cœur des jeunes.

«La Paix devrait être une maison» (fr)