Un « Sommet des villes »: n'est-ce pas là une légère contradiction dans les termes? On a en tout cas de la peine à s'imaginer une ville au sommet, même si les architectes Herzog et De Meuron prévoient de construire une tour sur la Schatzalp. Une tour ne forme pas encore une ville. La journée d'aujourd'hui est placée sous le signe du Cervin, mais je sais que ce sommet doit être pris ici au sens figuré. Mais n'est-il pas typique que le sommet symbolise le bonheur suprême, le summum de l'imaginable. Organiser un « Sommet des villes », cela fait quand même plus noble que d'annoncer un « Meeting des agglomérations ».

Ce n'est pas un hasard si notre hymne national évoque les grands monts et que les Alpes font donc partie de notre identité nationale: « Des grands monts vient le secours; Suisse, espère en Dieu toujours! » Pas un mot sur les villes. Cependant, dans le tunnel de Schöneich à Zurich, les automobilistes peuvent lire, sprayée sur la paroi, la parodie d'un autre chant montagnard  évoquant les embouteillages matinaux dans les villes. Même dans le bouchon quotidien, l'idylle des campagnes vient railler le citadin. Le mythe des montagnes est absent des villes.

La nostalgie d'un monde alpin intact n'en est que plus forte chez les citadins, ce qui explique aussi leur solidarité: lors de votations, ce sont eux qui défendent la protection du paysage avec le plus de fougue, qui soutiennent l'initiative en faveur de la protection des marais ou l'initiative des Alpes, qui veut protéger les êtres humains, les animaux et les plantes des effets négatifs du trafic. Comme si personne ne devait vivre dans les rues des agglomérations urbaines - à la seule différence près que les gens des villes n'ont pas de montagne où creuser des tunnels pour enterrer le trafic. Les villes et les agglomérations ne sont pas protégées par un article constitutionnel, même si le trafic de transit ne les épargne pas et que les véhicules traversant le quartier de Schwamendingen sont beaucoup plus nombreux que ceux qui franchissent le Gothard.     

Le mythe de la Suisse des campagnes

Trois Suisses sur quatre habitent dans des zones urbaines, ce qui ne nous empêche pas d'associer à la belle Suisse des prairies verdoyantes, des lacs bleus, des cars postaux jaunes et des cimes blanches, et non des trams, des terrasses de cafés et des magasins. C'est ainsi que de nombreuses personnes se disent heureuses de « vivre à la campagne » même si leur maison est prise entre deux autoroutes, survolée par des avions ou située à proximité d'une ligne à haute tension.

Notre image de ce qu'est la ville par opposition à la campagne porte encore aujourd'hui l'empreinte de Johanna Spyri. Nous croyons en une idylle champêtreagne bien que les bêtes soient conduites à l'alpage par camion. « Heidiland » est le nom donné à un restoroute de la vallée du Rhin à moins qu'il ne s'agisse du titre d'une comédie musicale. Notre edelweiss, jadis menacée d'extinction, orne aujourd'hui le ciel puisque c'est le nom arboré par une compagnie de vols charter. Le Cervin a aussi droit aux honneurs puisqu'il sert d'emblème au PS durant l'année électorale.

Nous défendons tous avec conviction le développement durable de notre pays. Nous défendons la Convention alpine, nous voulons que le tourisme soit durable, nous soutenons la politique du  transfert du trafic de la route au rail, la biodiversité et la protection du climat. N'oublions cependant pas que le développement durable doit s'appliquer partout, aussi dans les villes.

Le développement durable s'efforce de concilier des intérêts divergents. Nous parlons de cohésion lorsqu'il s'agit de préserver l'équilibre entre les différentes régions du pays. Aujourd'hui, les villes sont tellement mises à contribution que cet équilibre n'est plus assuré. C'est pourquoi une politique durable des villes s'impose. La qualité de vie des villes est indispensable au développement économique et à la prospérité de toute la Suisse.

La qualité de vie des villes

1.      Equilibre social

Notre rêve de la campagne s'explique peut-être aussi par notre aspiration à des relations sociales simples, à l'entraide entre voisins et à la sympathie des autres.

Les défis accrus auxquels sont confrontées les villes sont souvent dus au fait qu'elles héritent des cas difficiles. Je me rappelle une plaquette publiée par une commune de la campagne zurichoise qui se targuait de ne pas avoir de problèmes de drogue en ajoutant: « Les deux seuls toxicomanes de notre commune vivent aujourd'hui à Zurich. » Certaines communes s'abstiennent délibérément de créer un centre d'accueil pour toxicomanes, sachant pertinemment que ceux-ci se rendront dans la prochaine grande ville. Il y a bien sûr aussi des gens qui veulent se soustraire au contrôle social des campagnes et viennent se réfugier dans l'anonymat des villes plus tolérantes.
Il s'ensuit que la politique sociale des villes doit obligatoirement s'organiser de manière systématique et donc aussi schématique. Cette organisation doit à son tour obéir aux règles de l'équilibre social, ce qui implique un système de compensation entre les quartiers afin d'éviter que certaines zones ne sombrent dans la déchéance.
Ce système de compensation constitue aussi une politique d'intégration. Il permet d'éviter l'exclusion et représente aussi la contribution la plus efficace à la sécurité. Nous ne garantissons pas cette dernière en taxant de noir le quart des moutons suisses et en les écartant de la croix suisse à coups de pied.
Avec leurs infrastructures, leur politique de développement urbain, leur politique scolaire et sociale, les villes assument des tâches d'importance nationale et ont donc le droit d'exiger qu'on les y aide. Les villes ont besoin du soutien, également financier, des agglomérations, notamment pour les cas sociaux qui leur sont délégués, et elles doivent bénéficier de l'aide fédérale, par exemple pour la construction de logements sociaux.

2.      Dimension culturelle

La qualité de vie des villes comprend aussi une dimension culturelle. En effet, la ville offre à ses habitants une richesse immense. Au Moyen Age, un dicton populaire allemand disait : « Stadtluft macht frei » (l'air de la ville rend libre). La ville est restée l'incarnation de la liberté. Les citadins planent dans un paradis foisonnant de distractions, de possibilités d'achats, d'offres culturelles et de styles de vie.

Cette offre pléthorique a aussi son revers : l'excès. De la même manière que les villes ne se laissent plus envahir sans opposition par le trafic, elles devraient aujourd'hui commencer à se défendre contre le bruit continu et les ventes à vil prix.

Le tourisme de masse global amène des foules de gens dans les centres-villes. Il est parfaitement compréhensible que l'on veuille interdire, pour des raisons d'esthétique, les sièges monoblocs en plastique dans la quasi-totalité des villes suisses, même si l'on est en droit de se demander s'il faut prescrire ce qui est beau. De même que l'on peut se demander s'il faut ou non réglementer la musique de rue 24 heures sur 24. Cependant, lorsque  des musiciens de rue chantent El Condor pasa à longueur de journée, cela cesse d'être divertissant pour la population locale au bout de quelques heures.

La nouvelle place Fédérale à Berne est régulièrement occupée par des échoppes, des tentes et des gradins installés pour une quelconque campagne de promotion ou des spectacles. Rivella y dresse ses tentes, du sable artificiel est amené pour des tournois de beach volley et de la neige est transportée pour des courses de ski de fond : est-ce vraiment cela, la qualité de vie ?

Après la Street Parade, certaines rues de Zurich ressemblent plutôt à des urinoirs. Le spectacle n'est guère plus ragoûtant à Bienne à la fin de la Braderie, à Berne après le marché aux oignons ou à Genève après les Fêtes.

Je me demande parfois : est-il vraiment nécessaire que des manifestations  soient organisées dans les villes chaque week-end? Ne pourrait-on pas une fois flâner paisiblement sur une place sans être assailli par de la musique électronique ? Ne faudrait-il pas songer à l'occasion à introduire une flat place ?

3.      La dimension écologique

Les villes sont surtout aux prises avec la problématique des transports. C'est pourquoi j'ai souvent choisi le pont du Rosengarten enjambant la tangente ouest à Zurich pour répondre à des questions sur le transit alpin afin que l'on rende compte de la quantité de trafic qui se faufile à travers certains quartiers de la ville.

Le trafic qui déferle quotidiennement dans les villes inflige à la population urbaine des particules de suie, de fortes concentrations d'ozone terrestre et du bruit. C'est pourquoi les villes construisent des routes de contournement, des parkings couverts et des lignes de tram ; pour le financement, elles sont souvent tributaires du bon vouloir des campagnes. Si les Vaudois ont dit oui à la construction du M2 à Lausanne,  la ville de Berne a dû solliciter deux fois la campagne pour que le tram à l'ouest de Berne soit enfin accepté.

Nous payons aujourd'hui chèrement les retombées de l'euphorie des années 70, à une époque où l'on croyait rendre service aux villes en leur construisant des autoroutes. Le tronçon d'autoroute de Schwamendingen sera maintenant couvert. Mais les problèmes de trafic des villes appellent de nouvelles solutions:

Péage routier: la proposition est venue des villes qui souhaitent explorer de nouvelles voies pour résoudre leurs problèmes de trafic. Les villes servent régulièrement de terrain d'expérimentation, elles sont une source de bonnes idées novatrices qui parviennent parfois à convaincre le Conseil fédéral. Toujours est-il que nous planchons actuellement sur une base légale dans le but de pouvoir réaliser des essais de péage routier. La Confédération n'imposera toutefois jamais une telle taxe à une commune contre son gré. L'autonomie des villes demeurera préservée.
Par ailleurs, les villes aménagent des infrastructures pour le trafic lent: zones de rencontre, pistes cyclables, zones piétonnes et j'en passe.
Le fonds d'infrastructure nous permettra d'améliorer encore les transports publics grâce à l'impôt sur les carburants. Non seulement les habitants des villes en profiteront, mais également ceux des communes qui les entourent. Ce fonds nous permettra pour la première fois de planifier au-delà des frontières communales. La « ville »  se limitera de moins en moins à son centre pour englober tout un ensemble de zones construites autour de son centre historique. Il faudra donc organiser tous les secteurs, donc ceux de la culture, de la santé publique et de l'urbanisme, en faisant abstraction des frontières communales historiques. Un « conseil d'agglomération », composé de représentants élus des communes, pourrait constituer l'interlocuteur politique des états-majors administratifs. Son président pourrait être élu par l'ensemble des communes.

Les villes proposent de nombreuses innovations, non seulement dans le secteur des transports. Par exemple les Cités de l'énergie ont fait œuvre de pionnier en lançant une politique énergétique durable et en développant avant d'autres régions des idées pour économiser l'énergie, promouvoir et utiliser des énergies alternatives. Et elles appliquent ces idées.

Beaucoup de ces idées novatrices se heurtent à l'incompréhension des cantons et de la Confédération. Nous l'avons particulièrement remarqué dans la politique en matière de drogue. Beaucoup de problèmes se posent différemment dans une ville qu'à la campagne. Les villes souhaiteraient par exemple que les requérants d'asile puissent travailler, parce que chez elles le travail ne manque pas. Cela ne saurait bien sûr devenir une réglementation nationale, mais il est compréhensible que les villes demandent plus de liberté dans ce domaine de la politique d'asile. L'autonomie communale est un pilier du fédéralisme. Mais il faut constamment redéfinir et préciser cette notion. Dans certains domaines, les villes devraient pouvoir expérimenter des politiques plus nuancées et elles ont besoin de l'autonomie nécessaire à cela.  

Le PS est aussi le parti des villes

Afin que les villes puissent sauvegarder leurs intérêts, il faut qu'elles se mettent en réseau et présentent leurs revendications d'une seule voix. Nous venons justement d'évoquer trois propositions. Les cantons de montagne nous montrent depuis des décennies et à chaque fois qu'il s'agit de force hydraulique ou de paiements compensatoires comment l'on défend ses intérêts. Le lobby des villes n'est pas encore aussi puissant que celui des Alpes !

Nous sommes la preuve que les villes sont en mesure de former de fortes alliances. En effet, presque tous les maires des grandes villes suisses sont ici présents. Les cinq principales villes de Suisse sont gouvernées par des coalitions rouge-verte et cela n'est pas une coïncidence :

Le PS est toujours intervenu pour résoudre des problèmes typiquement urbains. Par exemple pour les familles monoparentales et pour les mères qui ont un emploi, il a défendu les crèches, les horaires groupés dans les écoles et la prise en charge des élèves durant toute la journée. Il a aussi créé des services de consultation et des centres d'accueil.
Le PS a toujours défendu les efforts d'intégration.
Le PS a toujours défendu le décloisonnement : il faut réunir en un seul lieu le travail, les loisirs et les activités culturelles, il faut abolir les ghettos de travail de même que la séparation entre quartiers pauvres et quartiers riches.
Depuis toujours, le PS a encouragé la construction de logements sociaux ; il demande maintenant que les structures d'habitation soient comprimées et efficaces sur le plan énergétique.
Depuis une cinquantaine d'années, il fait œuvre de pionnier en matière de transports publics, s'engage en faveur de zones sans voiture et de pistes cyclables.
Le PS s'oppose à la spirale de la concurrence fiscale - et à raison, sans quoi les villes seraient privées de leurs moyens.
Il se  préoccupe aussi des personnes aux carrières brisées et non de ceux qui partent à l'assaut des sommets.

Un « sommet des villes » est-il vraiment une contradiction dans les termes?

Il ne l'est pas si nous transposons aux villes nos idées sur le développement durable des Alpes et des autres cimes et que nous les mettons en œuvre, si nos conceptions de la solidarité et de l'ouverture face à la nouveauté et à la différence commencent à être acceptées dans les campagnes.

Il ne suffit pas de célébrer les « grands monts » comme le fait notre hymne national. La beauté, la paix sociale, la prospérité et l'écologie sont aussi des valeurs essentielles pour l'ensemble de notre pays. Les lueurs de l'aube ne doivent pas seulement teinter les Alpes de rouge, mais le pays entier. Il faudra donc cet automne suivre la devise suivante :

 « Aux urnes, citoyens ! Que tout le pays se teinte de rouge ! »

Le développement durable concerne également les villes