Discours de M. Hans-Rudolf Merz, président de la Confédération; Assemblée annuelle de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances; Delémont, le 28 mai 2009.

En cette période de vaches maigres, qui fait suite à plusieurs années fastes, les ministres des finances doivent relever d'importants défis : sur le plan financier, ils doivent faire preuve d'une grande rigueur en matière budgétaire, en raison de l'accroissement des dépenses publiques conjugué à une baisse des recettes ; sur le plan fiscal, ils doivent être prêts à faire davantage de réformes, en raison de l'intensification, à l'échelle internationale, de la concurrence entre places économiques. La Confédération et les cantons relèveront ces défis au mieux en poursuivant leur collaboration.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Vous conviendrez que
nous autres ministres des finances avons connu des temps meilleurs. Je ne veux pas dire par là que notre tâche est de tout repos. Non, dans notre quotidien nous nous engageons sans relâche pour que les finances publiques soient saines et nous veillons sans répit à la réalisation des réformes nécessaires dans les domaines fiscal et financier.

Aujourd'hui toutefois, nous devons affronter une situation qui sort de l'ordinaire : je veux parler de la
crise économique. Après avoir connu une période de vaches grasses, notre pays est désormais touché par le ralentissement conjoncturel qui frappe l'ensemble de la planète. Nous devons nous attendre à une baisse importante du PIB en termes réels cette année. De plus, nous ne savons pas si l'économie parviendra à reprendre son essor dès l'an prochain. De telles années de vaches maigres constituent des périodes particulièrement tumultueuses pour les ministres des finances que nous sommes, et ce pour deux raisons :

Premièrement, bien que les recettes des
pouvoirs publics baissent, ces derniers doivent fournir davantage de prestations mais sans accumuler de dettes susceptibles d'hypothéquer l'avenir. Or un tel défi ne peut être relevé que s'ils disposent d'un budget solide et font preuve d'une très grande rigueur, en tenant compte de la conjoncture.
Deuxièmement, comme les ressources deviennent plus rares, la concurrence s'intensifie entre places économiques, en particulier la
concurrence fiscale à l'échelle internationale. C'est pourquoi nous devons être prêts à faire des
réformes dans le domaine fiscal.

La Confédération et les cantons doivent relever ces deux défis de politique financière et fiscale. Que dois-je en conclure en tant que ministre des finances de la Confédération ?

1. Politique financière

La dégradation de la
situation économique n'est pas sans effets sur les finances fédérales. D'une part, nos recettes vont baisser de manière considérable. D'autre part, on attend encore de la Confédération qu'elle consente à des dépenses supplémentaires en faveur de mesures conjoncturelles.

Dans un tel contexte,
la gestion des finances s'apparente à un exercice d'équilibrisme : alors que, d'un côté, il s'agit de ne pas brader les acquis de ces dernières années (consolidation des finances fédérales), il faut, de l'autre, que la Confédération finance des mesures conjoncturelles et s'engage pour favoriser une reprise économique rapide. En d'autres termes, nous devons peser les intérêts, entre stabilité financière à long terme et soutien de la conjoncture à court terme.

Lorsque l'on se trouve sur la corde raide, il vaut mieux regarder devant soi sans perdre de vue l'objectif visé à long terme. Il peut être dangereux de se laisser distraire et de jeter des coups d'œil alentour. Un instrument nous aide néanmoins à ne pas oublier notre objectif : il s'agit du
frein à l'endettement. Ce mécanisme, qui a été inscrit dans la Constitution il y a quelques années et qui est contraignant pour le gouvernement et le Parlement, vise un objectif clair, à savoir des finances fédérales équilibrées.

Le but est de garantir l'équilibre structurel des finances fédérales. Comme la situation conjoncturelle est prise en compte, les déficits sont permis en période de récession ; par contre, l'Etat est tenu de réaliser des excédents lorsque l'économie est florissante. Cet instrument permet donc d'équilibrer les finances fédérales à moyen terme, soit sur la durée d'un cycle conjoncturel complet, et de prévenir une augmentation des dettes due à des déficits budgétaires.

Cet instrument est entré en vigueur en 2003, de sorte que nous avons déjà accumulé quelques expériences :

Grâce au frein à l'endettement, les déficits structurels accusés par les finances fédérales au moment de sa création ont pu rapidement être réduits. Le Conseil fédéral et le Parlement ont promptement élaboré et mis en œuvre deux programmes d'allègement budgétaire qui ont permis de réduire les dépenses de quelque 5milliards de francs. Sans l'objectif clair visé par le mécanisme du frein à l'endettement, ce résultat n'aurait pas pu être atteint.
Au cours de l'importante croissance économique qui a marqué les années 2006 à 2008, la Confédération a enregistré des excédents de plusieurs milliards de francs. S'il est facile de rester dans les chiffres noirs lorsque la conjoncture est bonne, il est plus compliqué d'assurer l'équilibre structurel des finances, car la tentation est grande d'affecter à de nouvelles tâches les recettes supplémentaires réalisées en raison de la bonne conjoncture. Grâce au frein à l'endettement, cet écueil a pu être évité. Qui plus est, nous avons réussi à réaliser des excédents structurels au-delà de ce qui était prescrit, et ces recettes supplémentaires nous ont permis de financer les importantes dépenses extraordinaires et de réduire sensiblement la dette.

Les finances fédérales sont donc saines pour affronter la récession. Nous n'avons pas dépensé à la légère les recettes supplémentaires réalisées lors des années de vaches grasses et disposons donc de réserves en cette période de vaches maigres.

Quelle politique budgétaire devons-nous mener ? En novembre dernier, le Conseil fédéral a présenté son
programme conjoncturel. Le frein à l'endettement y joue un rôle essentiel :

Les mesures anticycliques, à savoir les dépenses supplémentaires destinées à stabiliser l'économie durant la récession, ne peuvent dépasser les
limites admises par le frein à l'endettement. Dans le cadre du budget 2009, le Conseil fédéral et le Parlement disposaient initialement d'une marge de manœuvre d'un milliard de francs. Ils s'en sont servi pour financer les mesures relevant de la première et de la deuxième phases du programme de stabilisation. Comme les prescriptions liées au frein à l'endettement sont respectées, l'équilibre des finances fédérales n'est pas menacé à long terme.
Toutefois, si la situation économique devait continuer à se dégrader et la Suisse s'enfoncer dans une grave récession, de nouvelles mesures conjoncturelles pourraient s'avérer nécessaires. Il s'agirait, alors, de faire valoir un
besoin financier exceptionnel. Le mécanisme du frein à l'endettement prévoit une telle possibilité pour les situations extraordinaires sur lesquelles nous n'avons aucune prise, comme par exemple une grave récession. Mais cette possibilité, qui relèverait d'une troisième phase de mesures de stabilisation, ne devra toutefois être utilisée qu'en dernier ressort, si la crise est grave.

A la session de printemps 2009, le Parlement a adopté une
règle complémentaire au frein à l'endettement destinée à garantir l'équilibre de nos finances à long terme. Désormais, les découverts dans le budget extraordinaire devront être compensés à moyen terme par les excédents structurels du budget ordinaire. Le mécanisme de la règle complémentaire tient lui aussi compte des impératifs conjoncturels : les modalités de la compensation sont en effet définies de telle sorte que les économies nécessaires pourront être ajournées si la conjoncture est mauvaise.

Cette règle complémentaire devrait entrer en vigueur début 2010. Lors de la mise en place d'une éventuelle troisième série de mesures de stabilisation, cette règle complémentaire nous aidera à peser les
intérêts respectifs de mesures conjoncturelles d'une part, qui n'ont d'effets qu'à court terme, et
d'un équilibre budgétaire à long terme d'autre part. Car le frein à l'endettement nous oblige à ramener les finances fédérales dans les chiffres noirs lorsque la crise est terminée. Même si la situation économique actuelle est difficile, nous devons déjà penser à l'avenir. Nous devons veiller en particulier à ce que la dette n'augmente pas de manière excessive, comme ce fut le cas lors de récessions passées. Des finances publiques saines constitueront un avantage concurrentiel de taille pour notre pays lorsque l'économie se ressaisira.

2. Politique fiscale

Ces derniers mois, notre politique fiscale a été marquée par l'
évolution de la situation à l'échelle internationale. Dans la plupart des pays, les caisses de l'Etat commencent à être touchées par les effets de la situation conjoncturelle désastreuse, notamment en raison des pertes fiscales. Dans certains Etats, les programmes conjoncturels adoptés, qui sont parfois gigantesques, ont encore aggravé l'état des finances publiques. Ces Etats devront bientôt trouver de nouvelles sources de financement et la
question d'un relèvement des impôts ne manquera pas de se poser. La tendance consistant à alléger la charge fiscale des entreprises en particulier, qui a pu être observée à l'échelle mondiale ces dernières années, s'est donc temporairement infléchie. Mais elle devrait se maintenir à long terme.

La situation économique difficile a par ailleurs incité les grands Etats à accroître la pression sur les petits pays qu'ils tiennent pour des paradis fiscaux. En raison de son économie ouverte, la Suisse n'a pu se fermer aux évolutions internationales. Le Conseil fédéral a donc décidé, au mois de mars, de réaménager sa politique en matière d'assistance administrative et d'adopter les
normes de l'OCDE. Cette mesure a été prise au bon moment, à savoir en même temps qu'un grand nombre de places économiques concurrentes. Le Conseil fédéral a ainsi pu éviter que la Suisse ne soit inscrite sur une liste noire et assurer, dans le même temps, la compétitivité de la place financière suisse. Le Conseil fédéral travaille d'arrache-pied à la mise en œuvre de la nouvelle politique d'assistance administrative, en révisant des accords contre la double imposition. Ces négociations sont d'une grande importance pour la Suisse. Des intérêts économiques incontestés sont en jeu, en particulier pour les industries suisses. Les représentants des cantons nous soutiennent dans ces négociations et nous les en remercions.

Par ailleurs, d'importantes réformes sont en cours au niveau fédéral. Permettez-moi d'en évoquer brièvement trois :

Le Parlement traite actuellement, de manière prioritaire, la
réforme visant à simplifier la taxe sur la valeur ajoutée. La partie A, qui prévoit plus de 50 simplifications, est déjà en cours d'examen au sein du second conseil, en l'occurrence le Conseil des Etats. J'espère toutefois que le Parlement ne s'en tiendra pas à cette première partie. La partie B du message contient en effet des propositions d'une grande importance pour l'économie, à savoir la suppression de la plupart des exceptions et le passage à un taux unique. J'espère que le Parlement ne s'arrêtera pas à mi-chemin.

Le projet relatif à l'
imposition des familles est lui aussi en bonne voie. Le Conseil fédéral a décidé de ne pas encore choisir entre imposition individuelle et imposition commune, car aucune solution susceptible de rallier une majorité n'est en vue. En contrepartie, le Conseil fédéral souhaite alléger la charge fiscale des familles ayant des enfants. Cette proposition a été très bien accueillie lors de la procédure de consultation. Pour la mise en œuvre, le Conseil fédéral propose d'introduire un barème parental dans le cadre de l'impôt fédéral direct, ce qui permettra d'alléger de manière substantielle la charge fiscale de la classe moyenne en particulier. Il propose en outre une déduction pour les frais de garde des enfants par des tiers, mesure qui existe déjà dans la plupart des cantons. Le Conseil fédéral a approuvé le projet lors de sa dernière séance. Il importe désormais de ne pas perdre de vue l'objectif de la réforme, à savoir d'alléger dans les meilleurs délais et de manière non bureaucratique la charge fiscale des familles. Le projet sera selon toute vraisemblance traité par le Parlement au cours de la session d'automne.

Enfin, nous avons posé les premiers jalons de la prochaine réforme de l'
imposition des entreprises. Le Conseil fédéral a pris une première décision en décembre dernier. Ce projet a pour objectif de garantir l'attrait de la place économique suisse à moyen terme. L'objectif sera d'une part de supprimer certaines entraves fiscales ; les modifications concerneront la suppression du droit de timbre d'émission, le financement facilité des groupes de sociétés et l'impôt cantonal sur le capital. Il s'agira en effet d'autoriser les cantons à renoncer à ce dernier impôt. Un autre but sera d'intégrer dans ce projet des modifications concernant les sociétés holding et les sociétés d'administration cantonales. Ces sociétés, qui sont d'une grande importance pour notre pays, doivent continuer d'exister en tant que telles. Certaines adaptations permettront toutefois de faire en sorte qu'elles soient mieux acceptées à l'échelle internationale, ce qui est capital pour ces sociétés. Le Conseil fédéral devrait envoyer le projet en consultation d'ici à la fin de l'année.

Permettez-moi de conclure. Nous autres ministres des finances avons de nombreux défis à relever en cette période de vaches maigres. La crise économique exige que nous consentions des efforts exceptionnels en faveur des finances publiques et de la place fiscale suisse. Et que nous poursuivions notre collaboration entre les trois niveaux étatiques, une collaboration qui a toujours porté ses fruits. Non seulement en ce qui concerne la réforme de l'imposition des entreprises, que je viens de vous présenter, mais aussi pour tous les autres projets évoqués. Mesdames et Messieurs, c'est un plaisir pour moi de continuer à travailler avec vous. Puisse notre collaboration se poursuivre aussi fructueusement qu'aujourd'hui, en période de vaches maigres comme en période de vaches grasses.

Réformes et rigueur, maîtres-mots en période de vaches maigres