Juste devant le bâtiment dans lequel nous sommes réunis se trouve une fontaine célèbre ; celle de l'ogre qui dévore de petits enfants.

Quand j'étais enfant, bien avant la naissance de la Convention de Berne, nous venions régulièrement dans la capitale en famille. A chaque fois nous étions obligés d'admirer cette fontaine. Mes parents m'expliquaient que c'est ce qui arrivait, quand on n'obéissait pas.

Alors, parfois, je m'étonne qu'à Berne, justement à Berne, est née une Convention pour la protection des animaux et de la nature. Comment une ville peut-elle protéger plantes et animaux alors qu'elle célèbre un dévoreur d'enfants ?

Mais ce n'est pas ce questionnement qui pousse de nombreux politiciens à se distancer de la Convention de Berne et à vouloir la quitter.

Il existe une forte opposition contre la Convention. Même ici, à Berne où est né ce traité, un groupe important de parlementaires demande que la Suisse se retire de la Convention. Pourquoi ? Protéger les animaux ne serait pas dans l'intérêt de l'Homme.

C'est à l'aune de ces arguments que l'on mesure l'importance, la signification de la Convention de Berne.

C'est un instrument que l'on peut brandir pour défendre les intérêts de la nature dans les conflits surgissent lorsqu'il est question d'urbanisation et d'infrastructures.

Et qui permet donc de trouver des compromis.

Des compromis qui prennent parfois la forme d'un tunnel autoroutier pour ne pas gêner les oiseaux migrateurs, d'un passage pour hérissons ou encore d'une nouvelle réserve naturelle.

La Convention de Berne ne se résume pas à l'expression romantique des bons sentiments que l'on éprouve envers les plantes et les animaux. C'est bien plus qu'une déclaration d'amour.

(Et Dieu sait si celles-ci sont importantes !)

En fait, c'est une forteresse, une forteresse du développement durable.

Je suis donc particulièrement heureux de lui souhaiter un très bel anniversaire.

Je suis heureux de pouvoir le faire à Berne où elle est née sous la houlette d'un de mes prédécesseurs, Hans Hürlimann il y a trente ans. A Berne, où l'idée originelle de protéger - à un niveau international - les plantes et les animaux est née il y a bien plus longtemps encore. C'était en 1913. Le Conseil fédéral avait tenu alors une Conférence mondiale sur la protection de la nature, première du genre.

Mes félicitations reflètent ma gratitude pour le travail accompli  sous l'égide de la cette Convention 

Parce que la Convention est un mouvement de résistance qui est indispensable,
Parce qu'elle est aussi un mouvement de défense de valeurs qui n'ont pas de prix.

Esprit de résistance

En créant la Convention de Berne le Conseil de l'Europe a eu l'intelligence de renforcer considérablement ses activités dans le domaine de  l'environnement. Il a pressenti que le développement de notre planète ne dépendait pas que du développement économique et social, mais qu'il devait aussi permettre à la nature de résister contre son exploitation par l'Homme.

Aujourd'hui, l'interdépendance et la nécessité d'équilibre entre les activités et les besoins des hommes et ceux de la nature sont largement reconnues Le Sommet de la Terre, en 1992  à Rio de Janeiro, a fait connaître cette notion qu'on appelle depuis le développement durable.

Un développement qui veut répondre aux besoins du présent sans compromettre les besoins des générations futures.

Des ours de Berne

La Convention de Berne lutte contre la disparition des espèces car -  nous en sommes convaincus - chacune d'entre elles a un rôle déterminant à jouer dans l'équilibre de notre planète.

Le loup et le lynx, qui enflamment régulièrement les débats, attaquent les ongulés, c'est certain.

Mais cette loi de la nature a un sens.

Dans l'Oberland bernois, les chamois et les chevreuils, très friands de jeunes arbres, causaient des dégâts considérables aux forêts.

Depuis la réintroduction du lynx dans les années septante, les dégâts ont diminué de manière significative.

Et les ours ? Ont-ils leur place sur notre Terre ?

Ont-il leur place en Suisse ?

Nous venons de vivre, ce week-end précisément, un affrontement tragique entre l'Homme et l'animal. Un homme, handicapé mental, s'est retrouvé dans le nouveau parc des ours et il a été gravement blessé par un des animaux.

Considérer les animaux sauvages comme de petits amis de l'Homme, comme des jouets inoffensifs: c'est un grand danger que beaucoup minimisent.

A Berne, où l'on vénère l'ours jusque sur les armoiries, ce danger est d'autant plus réel.

Mais notre rapport à l'ours, faussé et souvent basé sur un manque de connaissances, existe aussi là où il vit en liberté.

La première fois que l'un d'eux a fait son apparition dans les Grisons, il a été propulsé star nationale.

Equipes de télévision et protecteurs de la nature, photographes, journalistes et touristes, tout le monde s'est précipité au Parc national pour l'admirer. 

Mais cet engouement est vite retombé.

Et quand il a dévoré une tarte aux pommes qui refroidissait sur le bord d'une fenêtre, il a aussi signé son arrêt de mort. Il était devenu un danger pour la population car il s'approchait de plus en plus des habitations pour se servir dans les poubelles. Il a été abattu.

Tout se tient

Mais avec la Convention, nous ne nous battons pas seulement pour l'ours, le loup ou tant d'autres animaux sauvages, mais également pour leur milieu naturel.

C'est une tâche indispensable elle aussi.

Car tout se tient.

En protégeant les forêts et les zones humides, nous assurons non seulement la survie d'innombrables espèces, mais nous évitons le déboisement, lui-même source importante du réchauffement climatique.

Et, par la même occasion, nous offrons une protection naturelle contre les avalanches ou les glissements de terrain dus aux pluies et aux chutes de neige abondantes et violentes, phénomènes qui se multiplient avec le réchauffement climatique justement.

Forteresse, la Convention l'est aussi pour les espèces indigènes. Elle applique en cela la Convention de l'ONU sur la diversité biologique et résiste aux espèces envahissantes.

Nous connaissons le problème des écrevisses américaines, grandes, voraces et porteuses d'une maladie. Elles proviennent évidemment de l'époque Bush.

En fait, leur maladie vient d'un champignon qui ne les dérange pas du tout, mais se propage à nos propres écrevisses qui, elles, meurent paralysées.

Depuis cette invasion, les écrevisses locales ont quasiment disparu de nos lacs et de nos rivières.

Des valeurs qui n'ont pas de prix

Dans ses multiples combats, face à ses nombreux adversaires, la Convention a encore une qualité, particulièrement précieuse à mes yeux,

elle défend des valeurs immatérielles,

des valeurs qui n'ont pas de prix.

Bien sûr, on peut aussi attribuer une valeur économique à la nature.

Un exemple : la ville de New York avait prévu de construire des infrastructures de filtrage des eaux pour approvisionner la cité en eau potable.

Coût : huit milliards de dollars.

Des voix se sont élevées : il existe des forêts et des zones humides pas très loin de la ville. En les préservant, et avec elles l'eau de leurs sous-sols, nous aurons une eau naturellement filtrée pour la somme d'un milliard et demi de dollars.

C'est ce qui a été fait.

Les arguments économiques sont fort utiles en politique.

La valeur économique que l'on peut tirer d'une plante ou d'un animal - parce qu'ils peuvent, par exemple, servir à la composition d'un médicament - nous donne des arguments contre l'emploi d'insecticide.
Le rapport Stern, en chiffrant les conséquences du changement climatique, a certainement fait avancer la lutte contre le réchauffement.
Et il est certain que le rapport final sur la valeur économique de la diversité des espèces nous aidera dans notre combat pour la biodiversité. Il est intitulé «The Economics of Ecosystems and Biodiversity» (TEEB) et dirigé par un banquier de la Deutsche Bank, Pavan Sukhdev -.

Le débat sur la valeur économique est donc utile, mais il est devenu si dominant qu'il nous laisse un goût d'inachevé.

Tout rapporter à l'argent est réducteur. Et c'est aussi une entreprise vaine.

Parce que, comme le précise la Convention de Berne dans son préambule, la flore et la faune sauvages ont bien d'autres dimensions, dont une valeur « esthétique, scientifique, culturelle, récréative, économique et intrinsèque qu'il importe de préserver et de transmettre aux générations futures ».

La place dominante qu'on laisse aux arguments économiques ne doit pas nous faire oublier les valeurs immatérielles. L'existence serait moins belle, moins captivante, sans

un vol d'hirondelles,
le regard du loup au fond du bois,
un pré piqué de sauge et d'esparcette.

Autant d'espèces protégées par la Convention de Berne. Des espèces qui, parfois, nous émeuvent, éveillent un sentiment, évoquent un souvenir.

Et puis, si nous traduisions tout en termes de pertes et profits, il nous faudrait aller jusqu'au bout du raisonnement et nous poser la question :

Combien vaut une vie humaine ? Combien est-on prêt à dépenser pour la sauver ?

Mais nous ne voulons-nous pas de ces calculs.

Certaines valeurs n'ont pas de prix.

Comme la dignité, l'amour, le respect des autres et de la création, qu'on soit croyant ou pas d'ailleurs.

Si donnons un prix à la nature, nous devrions, en conséquence, donner aussi un prix à la vie humaine. Et si nous commençons avec cela, nous allons aussi faire la différence entre une vie qui a de la valeur et une vie qui a moins de valeur. Nous savons où mènent de telles pensées.

C'est pour cela aussi que la Convention de Berne est une reconnaissance inconditionnelle d'autres valeurs.

Il est des valeurs qui nous dépassent, des beautés intérieures qui nous bouleversent, sans qu'on sache exactement pourquoi.

C'est pour protéger tout cela, pour préserver la complexité du monde, que le travail de la Convention de Berne est essentiel ; pour protéger l'animal et l'Homme.

Les enfants aussi doivent être protégés contres les fantaisies monstrueuses tel cet ogre de pierre, assis sur la fontaine vis-à-vis.

Il n'a pas de raison d'être, pas même en tant que menace éducative.

A lui aussi, la Convention de Berne pose des limites et enseigne le respect envers toute vie.

La Convention de Berne, un combat permanent