Monsieur l’ancien président de la Confédération,
Mesdames, Messieurs,

Merci de votre invitation. Merci aussi du choix du thème. La Suisse doit en effet regarder le monde, ouvrir plus grand les yeux vers l’avenir de notre planète ; pour mieux se comprendre elle-même, pour esquisser son avenir.

Nous avons eu la chance de voyager pour la Suisse dans le Monde, ces derniers mois au Brésil et aux Etats-Unis et encore tout récemment en Chine. Nous y étions avec les leaders des Ecoles Polytechniques Fédérales. Objectif : renforcer les coopérations scientifiques. A l’échelle de ces pays, la Suisse « démographique », c’est un tiers de Shanghai ou de Sao Paulo. Pourtant elle y est considérée – à juste titre - comme un partenaire important et fiable en particulier dans le domaine scientifique. Ainsi, la Suisse parle d’égal à égal quand les EPF visitent l’Académie chinoise des sciences.

Les chercheurs du synchrotron de Shanghai – la plus grande installation scientifique de Chine – reçoivent leurs partenaires de l’Institut Paul Scherrer, du domaine des EPF, comme des pairs (p-a-i-r) et même plutôt comme de grands frères ! Cette expertise scientifique permet à la Suisse de grandir dans ses échanges diplomatiques, de parler d’égal à égal, d’ouvrir le dialogue sur  tout, y compris les thèmes de divergence.

La Suisse a de quoi être fière de sa réputation internationale dans le domaine des sciences. Son excellence est connue et reconnue. Elle le doit à sa liberté académique élevée au rang de principe, à la priorité donnée à l’excellence, à sa soif d’innovation  et à sa recherche organisée selon un processus bottom-up ; autrement dit : confiance aux chercheurs pourvu qu’ils excellent !

Et ils excellent, Mesdames et Messieurs. Deux exemples :

D’abord, le classement des projets soutenus entre 2007 et 2010  par le Conseil européen de la recherche  - l’équivalent européen de notre Fonds national – montre que nos deux EPF se placent en 2e et 3e position des écoles ayant le plus de succès dans toute l’Europe, juste derrière l’Université de Cambridge et juste devant celle d’Oxford.

Ajoutez les Universités de Genève et de Zurich et la Suisse classe quatre de ses institutions parmi les 16 premières d’Europe - sur un critère d’excellence scientifique.

Second exemple, tout récent puisqu’il date de la semaine dernière : la Suisse – par ses EPF - pilote deux des six projets retenus dans la première phase de la sélection des flagships de la recherche de la Commission européenne. Les EPF sont aussi très fortement impliquées dans un 3e projet et elles collaborent à un 4e. Ce résultat époustouflant – la Suisse leader ou associée à 4 projets sur 6 retenus au plan européen ! - démontre la grandeur internationale de la science dans notre pays.

Nous avons fixé comme priorité stratégique que la Suisse conserve cette position de leader mondial dans la formation, la recherche et l’innovation.

Mesdames et Messieurs,

On ne peut regarder le monde sans être convaincu qu’il faut agir vite. Notre village global fait face à des défis immenses pour garder son équilibre :

la démographie qui modifie tous les équilibres ; l’environnement, les transports et l’énergie qui recherchent leur équilibre ; la santé publique qui ne sera équilibrée que lorsque tous y auront accès ;  et l’accès - précisément - à l’eau et à la nourriture en constant déséquilibre…
Autant de défis qui vont s’accentuer au rythme de la croissance des pays émergeants – très rapide. Ainsi la population mondiale a passé un cap: plus de 50% des habitants de la planète habitent dans des villes. Il y a cent ans, c’était 5%.

Dans 10 ans, un milliard de personnes vivront dans la ceinture équatoriale, dans des cités qui pour la plupart n’existent pas aujourd’hui ! Dans le même temps, pour prendre un exemple,  Shanghai prévoit de doubler les lignes de métro et de construire 400 kilomètres supplémentaires !

La Suisse paraît parfois presque « déconnectée » de cette réalité accélérée. Pourtant, elle a un rôle important à jouer. La capacité d’innovation de notre pays – 1er du tableau de bord européen de l’innovation depuis des années – et sa classe mondiale en matière de recherche lui donnent un rôle de responsabilité : celui d’apporter des réponses aux défis globaux. Concrètement, deux exemples à nouveau :

- Le laser à électrons libres SwissFEL que nous construisons à l’Institut Paul Scherrer, un instrument d’avenir que le monde nous envie, permettra par exemple de mieux décoder les structures des biomolécules. Pour faciliter notamment la mise au point de médicaments sur mesure pour des maladies liées à des virus ou des microorganismes.

- Deuxième exemple : la modélisation informatique du cerveau humain, « Human Brain », un de ces projets exceptionnels sélectionnés par la commission européenne ; ce flagship européen a son port d’attache à deux pas, à l’EPFL.
Ce qui pourra s’avérer essentiel pour mieux comprendre les maladies mentales et mieux les combattre. Rien qu’en Suisse, on estime qu’il y aura environ 115'000 cas de démence en 2020. Ce projet stimulera aussi des percées technologiques considérables, notamment informatiques. Imaginer ce voyage dans le cerveau en 2011, c’est comme décider de voyager jusqu’à la lune en 1960 : peut-être même un grand pas pour l’Humanité.

Des exemples – parmi d’autres – de ce que la Suisse et son excellence scientifique peuvent apporter au monde, sans se contenter de le regarder. La Suisse doit développer une véritable diplomatie scientifique, en tant que point fort de sa politique internationale. Dans l’intérêt de notre pays et pour sa responsabilité à l’égard du monde. « Comprendre le Monde.  Agir en Suisse. Grâce à une Suisse ouverte au monde. »

Mesdames et Messieurs,

En regardant le monde évoluer, en cherchant à comprendre ce que cela signifie pour la Suisse, ce dont nous parlons, c’est de notre « contrat social » au XXIe siècle – notre façon de vivre ensemble dans une société forte et cohérente.

Une organisation sociale juste repose sur un pacte tacite qui garantit à la fois l’égalité, la liberté et la responsabilité. Ce principe du contrat social, qui nous ramène à Rousseau, a contribué à fonder nos démocraties. Mais le Contrat social au XXIe siècle, ce n’est pas seulement  l’organisation de l’Etat, c’est l’ensemble des valeurs qui rassemblent  une société.
- C’est continuer à assurer l’accès à des bonnes formations pour tous : la Suisse, terre d’égalité des chances.
- C’est défendre une économie dynamique et créatrice d’emplois, très intégratrice. C’est assurer aussi la qualité du lien entre formation et métier, parce qu’il n’y a rien de pire que de voir des jeunes bien formés devant une absence de perspectives professionnelles comme dans certains pays, parfois des voisins.  Ceux qui regardent le monde auront noté que le départ des manifestations de Tunisie a été le fait de jeunes bien formés qui désespéraient de ne pas trouver de travail de qualité. Un pays qui n’offre pas de perspectives à ses jeunes est un pays qui ne s’offre pas d’avenir à lui-même ! La Suisse doit être une terre de perspectives.
- Le contrat social, c’est encore assurer une bonne intégration – celle qui passe par le travail est essentielle, elle est très bonne en Suisse. En revanche, il y a encore beaucoup à faire pour favoriser l’intégration dans la société –notamment par le sport et la culture. La Suisse a été longtemps une terre d’émigration, elle est devenue une terre d’immigration. Elle doit devenir davantage une terre d’intégration !
- Enfin, assurer le contrat social, c’est garantir des assurances sociales solides, taillées à la bonne dimension  et finançables à long terme. La Suisse ciment entre les générations.

En Suisse, la croissance est une alliée du contrat social. Une alliée presque insoupçonnée de nos assurances sociales et de leur financement.

Ces dernières années, les Accords bilatéraux ont fortement contribué à notre croissance. Tout n’est pas parfait et des difficultés sont aussi liées à cette évolution – par exemple le prix du logement. Doit-on pour autant se focaliser sur les seuls inconvénients au risque de perdre l’image globale ? La Suisse a renoué avec des taux de croissance dynamiques, elle est en tête de l’innovation, elle affiche le plus bas taux de chômage des jeunes (si l’on devait retenir un seul indicateur, ce serait celui-là !). La Suisse exportatrice comme jamais, aux finances équilibrées, qui a su traverser la crise financière sans faiblir. La Suisse, enfin, où l’immigration permet de financer les assurances sociales. Ce qui était quasiment occulté jusqu’ici.
Alors que l’AVS affiche des chiffres noirs depuis 10 ans, elle serait déficitaire depuis près de 20 ans sans l’immigration. Nous parlons ici de montants considérables : en moyenne 2 milliards de différence par année et, l’an dernier, il s’agissait de 4 milliards. Quatre milliards qui font la différence entre un gros déficit et un bon excédent. C’est une immigration européenne et qualifiée qui s’est développée avec la libre circulation des personnes. Ces personnes sont des contributeurs nets aux assurances sociales : ils versent plus que ce qu’ils pourront jamais toucher de l’AVS. De plus, ils nous aident, dans le modèle de répartition de l’AVS, à passer le cap de la retraite des « baby-boomers ». Sans eux, le baby-boom se transformerait en un crash des personnes actives…

Par ailleurs, et c’est encore moins connu, cette immigration est statistiquement moins susceptible de devenir invalide que la moyenne suisse ; elle est donc contributrice nette à l’AI à hauteur de 100 millions par an.

Voici une réalité que la Suisse doit regarder, pour mieux comprendre le monde et se comprendre elle-même. En fait, la Suisse est le pays européen qui a le plus profité de la globalisation.

Cette évolution de l’immigration qualifiée, doublée du fait que la société suisse a évolué vers de meilleurs emplois n’avait pas été anticipée, même dans les scénarios les plus audacieux. Le Conseil fédéral a donc revu les projections de l’AVS et nous avons publié les nouveaux chiffres la semaine dernière.

Ces nouvelles projections sont donc légèrement meilleures. Légèrement seulement, parce que les problèmes ne sont que retardés. C’est vers 2020 environ (et non 2015) que la Suisse devrait connaître un problème de financement de l’AVS. En 2023-2024 les réserves de liquidités de l’assurance passeront sous les 50 pourcent des dépenses annuelles. Le problème – tous les partenaires sociaux et les partis le confirment - est que le système de l’AVS est stable sur une longue période, mais dès que la descente est amorcée, tout s’accélère et le fond AVS risque de se vider en quelques années seulement.

En résumé, le gouffre est un peu plus éloigné, mais en raison du vieillissement,

le nombre de rentiers augmentera significativement et donc ce gouffre sera tout aussi à pic et profond que prévu!  Avec une assurance qui verse 40 milliards de primes par an, il n’est pas question de laisser la situation se détériorer. 

Les années à venir seront cruciales : pour réussir il faut que les forces politiques, économiques et sociales quittent la guerre de tranchées pour progresser le long du champ des solutions, en passant par ce concept apparemment démodé du consensus. 

« En politique, il est important d’affirmer ses valeurs, ensuite il est tout aussi important de forger des compromis sur les projets, pour les rendre tout simplement possibles, cela demande souvent du courage. » (J.F. Kennedy, profiles in courage, 1995). Cette phrase concerne la Suisse et regarde le monde : elle a été écrite par un président répondant au nom de Kennedy.
 
Pour progresser ainsi, une révision de l’AVS a besoin de deux moteurs :

1) Il faut que la population soit convaincue de l’impérative nécessité de la révision. Or ces dernières années, les prévisions ont plutôt fait l’objet de guerres de religion et il s’agit de les ramener de la croisade au terrain rationnel.

2) il faut aussi qu’une large coalition porte une révision de l’AVS. Or ces dernières années,  cela n’a tout bonnement pas été le cas.

Le Conseil fédéral entend intégrer les partenaires sociaux et les principaux groupes politiques dans une démarche participative.  La philosophie que nous entendons mettre au cœur de cette stratégie pour l’AVS repose sur un noyau très simple et pourtant essentiel : stimuler et rendre sa pleine valeur au travail. Revaloriser le travail… Et nous étudions des instruments qui favoriseront la prolongation de la vie active et la sécurité financière de l’AVS, qui permettront de mieux comprendre la Suisse du travail, dans laquelle – aujourd’hui déjà deux tiers des personnes ne prennent pas leur retraite à l’âge dit légal.

Par ailleurs, dans la deuxième partie de cette année, le Conseil fédéral présentera son rapport sur le 2e pilier, autre institution essentielle qu’il faut consolider. Ce rapport sera un véritable programme pour assurer que le 2e pilier suscite durablement la confiance des générations de Suisses, soit finançable de manière réaliste sur un modèle de capitalisation et non de répartition déguisée.

Enfin, le Conseil fédéral a décidé hier de la deuxième partie de la 6e révision de l’AI : le volet « 6b » qui sera présenté publiquement demain. Il s’agit de la dernière réforme pour remettre l’AI sur de nouveaux rails, ou plutôt sur le bon chemin de la réintégration, là encore de la revalorisation du travail. Elle complètera et terminera les 5e et 6e révisions 1ère partie – la « 6a »  approuvée par le Parlement en mars dernier et qui devrait pouvoir entrer en vigueur en 2012 – et elle  succèdera au financement additionnel.

Deux évolutions concrètes :

- En 2010, le nombre de bénéficiaires des mesures de réinsertion a augmenté de  plus de 60% par rapport à 2007.
- Et le nombre de nouvelles rentes a diminué de moitié depuis 2003.

Grâce à la révision 6b, nous pourrons supprimer durablement les déficits sans plus recourir à la TVA dès 2018 et nous pourrons rembourser intégralement la dette de l’AI (auprès de l’AVS…) avec un objectif vers 2025, soit au moment où l’AVS aura le plus besoin de liquidités.
 
L’amélioration des perspectives financières de l’AI a permis au Conseil fédéral de viser ces objectifs d’assainissement tout en réduisant la portée des mesures prévues lors de la consultation.

Là encore, il s’agit de revaloriser le travail par des actions concrètes, d’offrir de nouvelles perspectives de vie et de veiller à une consolidation à long terme du système social.

Mesdames et Messieurs,

Nous avons eu la chance de beaucoup regarder le monde ces deniers mois ; nous avons eu la possibilité  de mieux comprendre la Suisse ; et nous avons eu la tâche de proposer, avec le Conseil fédéral, des moyens d’agir pour qu’elle reste cet endroit où il fait bon vivre, cette nation qui repose sur un contrat social fort et durable.

Vue du monde, la Suisse est une terre stable et fertile en innovations. C’est cette terre-là que le monde aime à contempler et souhaite rencontrer.

Pour être à la hauteur de cette rencontre avec le monde, nous devons réunir la Suisse autour d’une volonté commune, autour d’une identité qui est celle de l’ouverture et de la responsabilité. Toutes proportions gardées, la Suisse peut être au monde ce que les Ecoles polytechniques sont à la Suisse : une fabrique de solutions, un laboratoire d’avenir.

«Forum des 100» - «Comprendre le Monde. Agir en Suisse.»