Mesdames et Messieurs,

C'est avec beaucoup d'enthousiasme que j'ai accepté votre invitation. Ceci d'autant plus que - pour une fois - je n'étais pas trop embarrassé pour choisir dans quel costume j'allais me présenter devant vous. Celui du ministre de l'économie ou celui de la formation et de la recherche ? Aujourd'hui c'était facile : tous les deux sont en effet de circonstance. Car aujourd'hui, l'ensemble de mon département est concerné.

Aujourd'hui, je vais parler économie. Et je vais parler formation et recherche. Et je vais surtout évoquer comment ces deux composantes se soutiennent et se renforcent mutuellement.

Economie ! Formation et recherche ! L'une ne va pas sans les autres. Les unes ont besoin de l'autre ! Elles sont tout simplement complémentaires.

Qui est première ? C'est une question insoluble. C'est celle de la poule et de l'œuf. Les deux ont quelques prétentions justifiables à la primauté.

L'économie? Bien sûr! Elle crée des places de travail et engage des gens, paie des salaires, développe des produits et les vend, produit une plus-value et l'investit à nouveau ! Elle finance ainsi l'Etat et ses tâches publiques. La formation y compris: écoles et hautes écoles publiques, recherche fondamentale, science. Rien de tout cela n'est imaginable sans une économie saine et dynamique, capable de payer la note.
La réplique de l'autre camp fuse immédiatement: Non ! C'est la formation et la recherche qui font tourner la roue de l'économie ! Avant de devenir une force de travail, chaque individu a besoin d'une éducation et d'une formation. Seule l'acquisition d'un solide savoir et savoir-faire mène au succès. C'est cela qui permet à chacun de trouver sa place dans une économie chaque jour plus complexe, plus dynamique, et d'y apporter sa contribution.

La primauté du savoir, - argumentent ses partisans -, découle aussi du besoin d'innovation. Sans innovation une économie s'étiole rapidement, devient anémique, meurt. L'innovation, qu'elle soit technique et scientifique, médicale ou relève des sciences humaines et sociales est toujours basée sur un nouveau savoir ou une nouvelle façon de regarder et d'utiliser ce qui est déjà connu.

Pour entretenir une économie vivante, il faut donc de l'innovation.

Pour innover, il faut faire de la recherche fondamentale et appliquée.

Pour faire de la recherche, il faut des hautes écoles qui remplissent cette mission de façon compétente, inventive et critique ; qu'elles soient poussées par une véritable soif de connaissance. Nos hautes écoles, - vous le savez mieux que personne Mesdames et Messieurs -, sont des institutions publiques dont nous pouvons célébrer les réussites.

Les bilans sont toujours des photos instantanées. Les choses peuvent changer d'un jour à l'autre. Mais permettez-moi d'oublier quelques instants notre tradition très helvétique de modestie et de prudence. J'aimerais en effet vous énumérer quelques succès de la recherche suisse :

Tout le monde le sait: notre hôte, - l'EPF de Lausanne -, est le port d'attache d'un - excusez-moi pour ce barbarisme de bureaucrate - d'un « FET-Flagship-Project » de l'Union européenne. Je l'en félicite ! Tous mes vœux l'accompagnent pour ce voyage aussi enrichissant que stimulant dans les mystères de la conscience humaine qui s'annonce avec le Human Brain Project !
Les chercheurs suisses bénéficient de bien plus de moyens du 7e Programme cadre de recherche de l'Union européenne que le coût du ticket d'entrée que la Suisse a payé pour y participer en tant que pays associé. Je n'ai qu'un mot : chapeau bas ! Chapeau bas devant toutes les hautes écoles, chercheurs et les nombreuses entreprises qui parviennent à s'imposer dans la compétition européenne des meilleurs !
Nous sommes aussi le pays qui - proportionnellement à sa population - publie le plus d'articles scientifiques dans les revues spécialisées internationales. Nous sommes tout simplement en tête !
La petite Suisse parvient à conclure des contrats de coopération scientifique et technologique avec les meilleurs des pays non-européens en expansion économique. Nous travaillons avec l'Inde, la Chine, la Russie, l'Afrique du Sud... Ces collaborations débouchent sur des partenariats et des projets de recherche de premier ordre.
Notre pays, - grâce aussi aux travaux de recherche et de développement privés -, est mondialement le plus innovateur. La réussite économique est dès lors au rendez-vous, même durant les périodes les plus difficiles.

Je pourrais encore en rajouter, mais je vais interrompre ici cet accès d'immodestie si peu helvétique. Sinon je vais encore faire rougir tout le monde dans cette salle.

Tous ces succès, - qu'ils relèvent de la recherche fondamentale soient du domaine de la recherche appliquée -, a beaucoup de pères, beaucoup de mères et beaucoup de causes. Mais une des raisons principales de notre réussite est à mon sens le fait que notre pays a su développer un cadre politique et social favorable pour la science comme pour l'économie. Un cadre qui est largement partagé, accepté et défendu par la population. Il est évident que dans ce domaine, l'Etat ne s'est pas contenté du rôle de veilleur de nuit que certains souhaitent parfois le voir adopter.

Premièrement, en tant que législateur, la Confédération a établi un cadre légal souple et léger, dans lequel une science et une recherche largement autonomes et une économie basée sur l'esprit d'entreprise et la responsabilité individuelles, peuvent, - et doivent -, se développer et croître conformément à leurs meilleures aspirations, possibilités et capacités.

Deuxièmement, la Confédération - en coordination avec les cantons - participe à la promotion et au développement de la formation. Dans le domaine de la recherche et l'innovation, elle est l'acteur principal. Elle met à disposition une palette d'instruments qui ont prouvé jusqu'à présent leur grande efficacité. Ces instruments sont - contrairement à ce qui existe dans d'autres pays - simples dans leur conception et mise en œuvre.

Une seule institution, le Fonds national suisse, suffit à pourvoir à la fois aux besoins de la recherche fondamentale et de la promotion de la relève scientifique. Deux tâches essentielles ! Elle assure ainsi la pérennité d'une recherche suisse vivante et compétitive demain et après-demain.

De la même manière, une autre institution unique, la Commission pour l'innovation et la technologie CTI, assure le lien et la médiation entre les connaissances accumulées par les hautes écoles et les capacités des entreprises de les transformer en processus, produits et services qui peuvent s'imposer sur le marché.

Le Fonds National comme la CTI sont - avec des statuts différents - autonomes. Tous deux sont intransigeants sur la qualité. Celui qui reçoit le label de soutien de ces deux institutions a passé un test sévère. La clientèle CTI et FNS est exigeante et c'est bien ainsi.

Arrivé à ce point de mon intervention, permettez-moi de faire une un petit détour. J'aimerais partager avec vous une préoccupation personnelle. Depuis le début de mon discours, j'ai souligné à quel point la coopération entre l'économie et le monde de la science est essentielle. Je le répète. L'économie finance la recherche. La recherche permet l'innovation. L'innovation permet à l'économie de rester performante. Une économie performante dégage des ressources pour la science.

Le maître mot de cette coopération entre science et recherche, c'est la confiance. Sans la confiance, rien ne fonctionne. L'économie de marché est basée sur la confiance. C'est qu'on appelle le crédit. Sans crédit, l'économie s'arrête.

Reconnaissons-le : le crédit a été passablement malmené au cours des années écoulées. L'âpreté au gain, l'arrogance et le mépris de certains dirigeants d'entreprise ont mis à mal la confiance de la population. L'adage se vérifie : il faut sept ans pour se constituer une bonne image, il suffit de sept jours pour mettre le client - ou le citoyen - en rage !

Cette crise de confiance s'est traduite en initiatives populaires. Dans le domaine des salaires, mais aussi dans le domaine de la libre-circulation. L'initiative Minder bien sûr, mais aussi ecopop, l'initiative 1:12 pour des salaires équitables, ou celle des syndicats sur les salaires minimum. On n'a plus confiance dans les instruments habituels du consensus suisse - le dialogue entre partenaires sociaux et la solution pragmatique : on veut tout graver à jamais dans le marbre, l'inscrire dans la constitution.

Je l'ai dit : je comprends la colère des citoyens. Ce que je comprends beaucoup moins, c'est que certains partis entretiennent cette colère pour passer leurs idées les plus radicales. Des idées qui sont nocives pour tout ce qui fait le succès de notre pays. L'ouverture, la flexibilité et le dialogue

- le dialogue entre partenaires sociaux ;

- le dialogue entre politique et économie ;

- le dialogue entre l'économie réelle et l'économie financière ;

restent des ingrédients essentiels de notre réussite. Celle de notre économie, donc celle de notre recherche. Il faut dès lors combattre ces initiatives qui font miroiter à chacun un gain immédiat, mais qui, à plus long terme, menacent notre bien être à tous. Il faut aussi restaurer la confiance. C'est ainsi qu'on préservera la prospérité de notre économie. C'est ainsi que nous pourrons préserver le financement et la qualité de notre recherche.

Quel est l'avenir de cette recherche ? A cette question, ma réponse est simple et dans l'esprit de ce que je viens de dire à l'instant: il faut poursuivre sur le chemin que nous avons choisi. Adaptons-nous ponctuellement et développons ce qui est utile et nécessaire. Mais n'abandonnons pas des pratiques qui ont démontré leur efficacité. La division du travail, qui veut que la recherche fondamentale soit pour l'essentiel une tâche des hautes écoles publiques, alors que la recherche appliquée s'effectue avant tout dans les entreprises, est - je crois qu'on est tous d'accord - très performante. C'est un principe général qui devrait rester valide.

Evitons toutefois de tout graver dans le marbre. Cela ne servirait pas notre cause et ne serait sans doute plus tout à fait adapté par les temps qui courent. C'est un fait : le temps de la science calfeutrée dans sa tour d'ivoire est sans aucun doute à jamais révolue. Aujourd'hui, la haute école suisse est certainement, - beaucoup plus qu'il y a 20 ans- , une composante essentielle de la Cité qui la finance et l'héberge! Et c'est vrai quel que soit le type de haute école. C'est d'ailleurs dans l'intérêt bien compris des hautes écoles spécialisées, comme des universités, de se rapprocher de la société. Et quand je dis société, je pense évidemment à la communauté, mais aussi aux entreprises qui en font partie.

Il est par conséquent parfaitement logique que la nouvelle Loi fédérale sur l'encouragement et la coordination des hautes écoles (LEHE) retient l'acquisition de ressources de tiers comme critère d'attribution du financement de base des hautes écoles par la Confédération. Etre en mesure de s'affirmer comme un partenaire souverain et compétent de l'économie est certainement un signe de qualité, d'originalité et de capacité d'innovation institutionnelle.

La forme que doivent prendre ces partenariats public-privés reste évidemment de la compétence des parties, conformément à leurs stratégies propre.

Que l'Université réalise des projets de recherche de privés ;
qu'elle envisage de faire financer des chaires dans des domaines nouveaux et porteurs d'avenir par des entreprises ou des institutions privées ;
ou qu'elle accepte des donations comme ressource complémentaire pour le travail scientifique :
un seul point me paraît important: l'indépendance !

Quel que soit l'objectif de la coopération et quel que soit l'intérêt pour des résultats immédiatement utilisables, rien ne doit se faire au détriment de l'indépendance et de l'autonomie de la science et de la recherche. Ceci exige des règles claires que les partenaires doivent élaborer et convenir ensemble.

Car à tout instant, nous devons tous être en mesure de nous référer sans arrière-pensée, sans mauvaise conscience et sans aucun doute ou malaise à la meilleure vérité scientifique possible du moment ! Ceci n'est pas - et ne sera jamais - négociable ! Je suis persuadé que les partenaires du secteur privé, avec lesquels une collaboration vaut vraiment la peine, comprendront ce principe. Mieux. Il devrait constituer, - même à leurs yeux -, un ingrédient indispensable pour tout véritable succès commun. Dans l'intérêt de la recherche publique et privée et dans l'intérêt de notre capacité d'innovation, nous examinerons régulièrement nos instruments de soutien. Nous les adapterons si nécessaire. Nous les compléterons si c'est indispensable. Nous l'avons déjà fait. Trois exemples récents le prouvent.

C'était juste d'exfiltrer la CTI de l'administration fédérale et de lui donner un statut plus autonome. Le Fonds national suisse jouit depuis longtemps d'une grande indépendance et il l'utilise avec succès pour le plus grand bénéfice de la recherche et des chercheurs. Que les décisions de soutien et de financement soient prises par ceux qui sont concernés par la recherche scientifique est non seulement conforme aux traditions de milice de notre pays. Cette pratique donne aussi les résultats les plus probants. Toute mon expérience d'entrepreneur m'en a intimement convaincu et je suis persuadé que cette conviction est largement partagée.
Il était tout aussi juste d'assurer la mutation des peu probants « programmes prioritaires de recherche » en «pôles de recherches nationaux », porteurs d'un plus grand avenir. Ces derniers structurent le paysage de la recherche suisse de façon durable, assurent un engagement efficace et à long terme des ressources et constituent un terrain idéal pour tester les possibilités des partenariats publics-privés.
Troisième et dernier point : la coopération internationale. Cet aspect devient année après année plus important, voire décisif. Il est par conséquent extrêmement important que notre petit pays reste connecté et en phase avec les réseaux transnationaux du savoir et de la recherche. Pour cette raison, notre association au programme cadre de recherche de l'Union européenne « Horizon 2020 » est cette année une des priorités de la politique de formation, recherche et innovation et du nouveau Secrétariat d'Etat qui la chapeaute. Je tiens à le souligner ici : en dépit des cris et gémissements des sceptiques et critiques, ce programme européen est parfaitement hevético-compatible. Ses vertus sont tout à fait suisses :

d'abord, il favorise qualité comme un critère essentiel pour tout soutien ;

ensuite, il voit l'esprit de compétition internationale et la collaboration transfrontalière comme moyens de la réussite, même au niveau national;

enfin, il encourage la coopération entre des institutions publiques et privées dans des domaines prometteurs pour la croissance économique.

J'en arrive à la conclusion. La Suisse gardera sa place à l'avant-garde de la recherche et de la science, j'en suis persuadé et me fais d'ailleurs peu de soucis. Aussi longtemps que nous saurons maintenir les pouvoirs de décisions aux niveaux adéquats, nous nous maintiendrons. L'Etat doit dessiner un cadre qui soit globalement bénéfique à la science et la recherche. Cela implique d'un côté le soutien à -, et de l'autre, l'autonomie de - la recherche.

Ce cadre éprouvé est en dernière analyse la base indispensable pour l'acquisition de nouvelles connaissances. Celles-ci forment à leur tour le terreau pour l'innovation et de nouveaux produits. J'ai la conviction que la recherche et l'économie continueront à produire des échanges très riches qui bénéficieront à chacun et à l'ensemble de la société.

Mes remerciements les plus chaleureux vont à tous ceux qui, jour après jour, - grâce à leur passion - , rendent possible tous ces exploits. Grâce à vous, nous étanchons notre soif de savoir et assurons notre prospérité. Merci !

Seule la version orale fait foi !

Economie et recherche, quelle collaboration ? | Bilan et perspectives de la place de la recherche en Suisse