Nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire d’un illustre centenaire, raison pour laquelle la radio a mené une interview avec lui. L’animatrice, d’une gentillesse extrême et répondant au doux nom de Rose Bonbon,  a passé durant l’après-midi d’anciennes rengaines en posant au vieillard des questions amènes: „ Est-ce  exact, Monsieur le Simplon, que vous lisez encore régulièrement l’indicateur officiel ? “

Le Simplon répond sèchement „ Je ne suis pas né de la dernière pluie, voyons, plus personne ne consulte les horaires de nos jours, car nous avons l’horaire cadencé. Surfez plutôt sur www.sbb.ch, avant de poser de telles questions. “

La dame de la radio, pleine de compréhension, persiste sur le même ton suave:
„ Il paraît que vous ingurgitez toujours quelque 150 trains chaque jour? “

„ Facilement “, répond notre centenaire d’une voix grinçante, „ l’ETCS nous sert de laxatif, les convois passent ainsi plus facilement.“

Un pionnier du chemin de fer est un pionnier et le restera, fût-il centenaire.

Cette règle n’est toutefois pas valable pour tous les centenaires. Une voiture de 1906 ne présente plus aucun intérêt sur le plan technique. Nous utiliserions tout au plus une route centenaire pour nos promenades. Et pour rien au monde nous ne monterions dans un avion de 1906 avec son moteur deux-temps et sa toile à la place des ailes. Nous le mettrions sur la liste noire de l’OFAC.

Mais les tunnels ferroviaires survivent aux siècles et restent éternellement jeunes. Le Simplon reste le même qu’il y a cent ans, ce sont toujours les mêmes rails, mais ils voient maintenant rouler des directs et des convois marchandises ultramodernes, à la vitesse et à la cadence du XXIe siècle.

Un pionnier du chemin de fer est un pionnier et le restera. Et il n’est jamais à court d’idée, tout comme le Simplon.

- Il y a cent ans, le président de la Confédération suisse est venu célébrer l’inauguration du tunnel du Simplon. Aujourd’hui, le président est de nouveau là.
- Il y a cent ans, le roi d’Italie participait à l’inauguration. Aujourd’hui, c’est la reine italienne du rock, Gianna Nannini.

- Alors que l’esprit de Napoléon planait encore au-dessus de l’inauguration il y a cent ans, c’est Giorgio Napolitano qui nous transmet aujourd’hui ses salutations depuis ses sphères présidentielles.

- Lors de l’inauguration du tunnel, les médias se sont beaucoup émus des peines infligées au président de la Confédération de l’époque, Ludwig Forrer. La Berner Volkszeitung relevait: „ Il doit fournir à tout moment des efforts surhumains. Il doit s’affubler d’un frac et d’un col cravate blanc pour accueillir le roi d’Italie et le mener en grandes pompes à travers le tunnel. “

Aujourd’hui, les médias se préoccupent de nouveau de la tenue vestimentaire du président et s’intéressent tout particulièrement à son maillot de bain.

Un pionnier du chemin de fer est un pionnier et le restera. Et il n’est jamais à court d’idée:

- Lors de son inauguration, le tunnel ferroviaire célébrait son triomphe sur la route du col avec ses lentes diligences. Pourtant, l’essor de l’automobile et la construction de routes plus larges et plus rapides, la présence d’une voiture dans bientôt chaque ménage et le raccordement de toutes les régions au réseau autoroutier ont contraint notre pionnier à l’action. Il a alors chargé les voitures et les a amenées vers le sud à la vitesse d’un direct, en toute sécurité et sans encombres. Pourtant, cela ne suffisait pas.
Le chemin de fer voulait de nouveau être en tête, il y tenait mordicus, et aujourd’hui il est de nouveau le moyen de transport le plus efficace. On ne prend en effet plus la voiture pour se rendre d’une grande ville à une autre, mais le train, car il est plus rapide. On ne confie pas ses marchandises à un camion, mais au chemin de fer, si on veut les transporter sur de longues distances en toute sécurité. Et lorsque la construction de la NLFA sera terminée, on parviendra plus vite au centre de Milan en train qu’en avion.

Un pionnier du chemin de fer est un pionnier et le restera. Et il n’est jamais à court d’idée:

- Le tunnel du Simplon a été réalisé grâce aux efforts conjoints de l’Italie et de la Suisse, un véritable exploit à une époque où d’autres pays veillaient à construire des voies à écartement différent afin d’éviter que tout chemin de fer étranger ne puisse pénétrer sur leur territoire. Le tunnel du Simplon scellait l’amitié entre deux pays, entre deux régions (le Valais et le Piémont) et entre deux villes. Brigue et Domodossola sont devenues des villes jumelles et sont restées liées depuis lors. Ces marques d’amitié par-delà nos frontières n’ont toutefois pas fait oublier nos liens en Suisse: le tunnel du Simplon a notamment été construit pour relancer le tourisme valaisan et, de nos jours encore, il achemine d’innombrables vacanciers vers les stations de ski.

- Pionnier d’un jour, pionnier pour toujours: les infrastructures ferroviaires fournissent aujourd’hui un travail de pionnier en faveur de la cohésion européenne. Nous nous employons à harmoniser les normes, à éliminer les obstacles à la frontière et à mettre en place un corridor ininterrompu du nord au sud de l’Europe en perçant les tunnels de base du Gothard et du Lötschberg. Les ministres des transports de l’UE viennent régulièrement nous rendre visite, et tous demandent à voir le tunnel. Par le biais de la redevance poids lourds, la fameuse RPLP, tous les camions européens participent à son financement. Et nous relancerons aussi l’amitié entre la Suisse et l’Italie. En effet, nous ouvrirons exprès le tunnel du Lötschberg déjà en 2007 afin que les trains spéciaux affrétés pour l’Euro 2008 puissent amener les supporters italiens plus rapidement dans les stades. Et nous resserrerons aussi les liens d’amitié à l’intérieur du pays puisque la NLFA profitera aussi aux régions : grâce au Lötschberg, le Valais fera partie de la principale zone économique, la Porta Alpina revalorisera les Grisons et le tunnel du Ceneri procurera au Tessin un réseau RER.

Un pionnier du chemin de fer est un pionnier et le restera. Et il n’est jamais à court d’idée:

- Le tunnel du Simplon a été repris par l’Etat il y a 100 ans. Des entreprises privées avaient commencé sa construction, mais cet acte de pionnier les a ensuite complètement dépassées. La  NZZ constatait à l’époque: „ Pour façonner des ouvrages d’une envergure si titanesque, il ne suffit pas de vouloir réaliser des bénéfices, il faut aussi une bonne dose d’idéalisme. “

Le Simplon, de même que tous les autres tunnels ferroviaires le savent pertinemment: seul l’Etat peut être le garant d’une mobilité respectueuse de l’homme et de l’environnement. Aucune entreprise privée ne parviendrait à réaliser un tour de force comme le transfert du trafic de la route au rail. Et aucune ne serait en mesure d’amener les transporteurs étrangers à participer au financement de la NLFA. Aucune entreprise privée n’aurait assez de souffle pour poursuivre des objectifs à si long terme et en partie contradictoires: garantir la mobilité tout en ménageant l’environnement, esquisser des plans à l’échelle européenne tout en tenant compte de chaque région. Seul l’Etat est en mesure de faire œuvre de pionnier en planifiant à si long terme.

Un pionnier est un pionnier et le restera, fût-il centenaire.

Notre animatrice de radio susurre: „ A votre naissance, vous mesuriez  19,8 kilomètres et étiez ainsi le plus long tunnel du monde ! Monsieur le Simplon, racontez-nous un peu comment était la vie à l’époque. “

„ Cessez donc de me flatter de la sorte “, répond  le Simplon en grinçant „ Vous savez pertinemment que ce record m’a été volé par un jeune tunnel japonais! “

„ Mais vous aviez alors presque quatre-vingts ans, cela ne devait donc plus vous préoccuper “, siffle l’animatrice répondant au doux nom d’Angélique la Sirupeuse.

Le Simplon rétorque sans ambages: „ Nous ne céderons pas facilement ce record, mon petit-fils Gothardeau va le récupérer. Avec ses 57 kilomètres, il sera le  nouveau tunnel le plus long du monde. “

Le ton du Simplon finit quand même par agacer notre animatrice, qui demande d’une voix un peu moins affable: „ Il paraît que des complications gynéco… pardon, des complications géologiques apparaissent régulièrement lors de ces grossesses, l’enfant vient au monde une année après le terme et coûte plus cher que prévu. “

„ Ah! “ s’exclame le Simplon, „ N’exagérerons pas! C’était bien pire autrefois. Pour moi, cela a duré sept ans et demi au lieu de cinq, et durant les travaux la moitié de la montagne s’est effondrée et j’ai failli me noyer dans des sources brûlantes - et puis, ce dépassement du budget ! “

„ Mais enfin... “ proteste l’animatrice.

Le Simplon l’interrompt brusquement: „ Savez-vous donc ce qu’est un pionnier? Lorsqu’on s’aventure dans des mondes inconnus - dans les entrailles de la montagne et qu’on part au loin? “

„  Nous arrivons maintenant au terme de l’émission “ grommelle l’animatrice, qui n’y comprend plus rien.

„ Voyez-vous “, dit le Simplon, „ Voilà la différence: nous, les tunnels ferroviaires, ne pensons pas seulement au présent immédiat, mais à une très longue échéance. Nous, les pionniers, ne baissons pas les bras dès que les choses prennent une mauvaise tournure. Nous persévérons! Le Lötschberg verra le jour, de même que le Gothard et le Ceneri. Le transfert du trafic réussira. Nous ne nous laisserons pas décourager. Nous croyons en l’avenir du chemin de fer. Un pionnier restera toujours un pionnier! “

Les 100 ans du tunnel du Simplon : pionnier d'un jour, pionnier pour toujours