Monsieur le Président du Conseil national,
Monsieur le Président du Grand Conseil,
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Monsieur le Président du Conseil d'Etat,
Madame la Conseillère d'Etat,
Monsieur le Conseiller d'Etat,
Messieurs les députés au Conseil des Etats, au Conseil national et au Grand Conseil,
Messieurs les juges fédéraux et cantonaux,
Messieurs les commandants de corps et divisionnaires,
Chers membres, amis, sympathisants et compagnons d'arme de l'Union démocratique du centre,

Liebi Fraue und Manne,

Ich heisse Sie herzlich willkommen zur 16. Albisgüetli-Tagung 2004.

Cher amis de la Suisse romande. Je vous salue cordialement à notre Réunion de l'Albisgüetli. Pour vous, nous avons une traduction simultanée.

Cari amici della Svizzera italiana, vi ringrazio per il vostro prezioso sostegno al Sud delle Alpi.

Peu après le 10 décembre 2003, j'ai reçu une lettre d'un citoyen avisé qui m'écrivait: « C'est bien que vous ayez été élu au gouvernement, il y aura au moins un conseiller fédéral à l'Albisgüetli ces prochaines années. Ou bien est-ce que l'UDC devra maintenant s'attendre à ce que « Monsieur le Conseiller fédéral Blocher » refuse de venir ? ». Non, Mesdames et Messieurs. Il y a toutefois de mauvaises langues qui prétendent que Blocher est devenu conseiller fédéral juste pour qu'il y ait un conseiller fédéral à chaque Albisgüetli. Je vous assure seulement qu'aucune décision du Conseil fédéral ne m'empêchera de participer à l'Albisgüetli.

I. Une fois de plus : la Suisse est un "Sonderfall"

Quand nous nous sommes réunis ici après les avant-dernières élections législatives, c'est-à-dire il y a quatre ans, nous nous demandions ce qui expliquait le succès de l'UDC. Nous avons dégagé les valeurs suivantes :

remplir sa mission au lieu de rechercher le prestige
se concentrer sur la matière au lieu de courir les honneurs
prendre ses responsabilités au lieu de les diluer
comprendre le cas particulier de la Suisse
penser l'impensable et oser le dire

Cette recette du succès restera toujours valable. Ce sont des lignes directrices qui s'appliquent aussi bien à un parti d'opposition qu'à un parti gouvernemental. Cela vaut pour les conseillers fédéraux comme pour ceux qui ne sont pas conseillers fédéraux.

Quand l'UDC a percé, en 1999, comme le parti réunissant le plus d'électeurs, j'ai fait acte de candidature, par devoir, au Conseil fédéral. Mais les autres partis ont préféré un gouvernement du centre et de la gauche, bien que ce gouvernement ne soit pas soutenu par une large majorité de la population. J'ai dit à cette époque : « On se reverra chez Philippi ». Beaucoup ont spéculé sur ce que je voulais dire. Quelques-uns pensaient que j'avais fait un lapsus et que j'avais voulu dire : « On se reverra chez Filippo », en pensant à l'émission suivante d'Arena à la télévision. Mais non, je voulais parler des élections suivantes, celles de 2003. Et en effet, nous nous somme revus chez Philippi. Les résultats des législatives de 1999 ont fondé la base de mon élection au Conseil fédéral. Je m'étonne encore, pour être honnête, d'avoir été élu. Cela ne veux pas dire que je ne prenais pas ma candidature au sérieux. Mais j'ai tout de même été surpris. Je n'aurais pas cru le système politique suisse capable de cela, précisément parce que je le connais depuis longtemps. Je n'étais d'ailleurs pas le seul à être surpris : quelques-uns ont parlé d'un accident de parcours, d'autre d'un miracle, d'autres encore d'un mercredi noir. Tous ont raison, de leur point de vue. Mais au fond, cette élection est une preuve de plus que la Suisse est un « Sonderfall » politique. Je l'ai encore observé quand, après l'élection, je réfléchissais à la charge de conseiller fédéral. Il y a presque dix ans, je disais dans un interview : « La charge de conseiller fédéral n'est pas vraiment tentante actuellement. C'est le plus haut barreau d'une échelle qu'il faut d'abord gravir. Mais n'atteint ce barreau que celui qui cherche à plaire à tout le monde, qui se demande toujours : « Quelle idée dois-je défendre pour gravir encore cet échelon ? » Il faut éviter de heurter Untel et Untel, et à la fin, on se retrouve au sommet de l'échelle, tous angles arrondis et adapté jusqu'au déni de soi. » Je n'ai pas abandonné le moins du monde mes idées politiques avant les élections, je n'ai penché ni à droite ni à gauche et je suis quand même devenu conseiller fédéral. Et je dois bien dire que je me trompais. Je ne me rendais pas suffisamment compte que la Suisse est un « Sonderfall » même pour les élections du Conseil fédéral. C'est d'ailleurs étrange : en Suisse, l'autorité suprême de l'exécutif, qui doit des comptes au Parlement et au peuple, est un collège de sept membres de même rang. Nous n'avons pas de ministres chargés d'un seul domaine, en nombre variable, nommés et destitués par un chef de gouvernement et responsable seulement devant ce dernier. Nous avons un gouvernement multipartis, dont les représentants sont élus par les autres partis. Nous avons un système dans lequel il n'y a pas de président ayant une fonction dominante et dans lequel même le parti ayant recueilli le plus de voix n'a pas le droit de former le gouvernement. Et maintenant nous sommes dans ce cas curieux d'un conseiller fédéral élu alors que la majorité des parlementaires ne voulaient pas de lui. Si ce n'est pas là un « Sonderfall » ! Dans un autre pays, les gouvernants précédents se retireraient et l'opposition serait appelée à gouverner. En Suisse, les conseillers fédéraux en place, dont le parti a perdu, restent, et celui qui résistait entre au gouvernement. Si ce n'est pas là un « Sonderfall » !

II. Plus de politique UDC au Conseil fédéral

On m'a attribué le Département de justice. Le département, donc, dans lequel il y a le plus de discordances entre la politique actuelle du Conseil fédéral et celle de l'UDC. Il s'agit des questions de sécurité et de criminalité, d'asile, de naturalisation, de conception du droit pénal, de politique de migration et d'intégration. Manifestement, le Conseil fédéral s'est demandé : qui a les meilleures idées dans ce domaine ? Quel parti a présenté des recettes efficaces contre les abus dans le secteur de l'asile ? Qui a mis en question, pour de bonnes raisons, les accords de Schengen et de Dublin ? De qui pouvons-nous espérer une démarche plus conséquente pour ce qui est du droit pénal et de l'exécution des peines ? Après mûre réflexion, le Conseil fédéral m'a choisi comme chef du DFJP. C'est en tout cas comme ça que je le prends. Personnellement, je pensais être plus à ma place aux finances ou à l'économie, en raison de mon expérience. Mais non, le gouvernement veut plus de politique UDC au Département de justice. L'ancien président du PS, M. Helmut Hubacher, a dit : « Blocher comme ministre suisse de la justice, c'est comme un juste châtiment divin. » Mais il n'a pas dit pour qui ce choix était un châtiment. Que peut-il bien avoir voulu dire ? Croit-il donc que le Conseil fédéral m'a placé au DFJP avec une arrière-pensée ? M. Hubacher croit-il vraiment qu'un gouvernement puisse être si mesquin et malveillant ? M. Hubacher n'a-t-il donc aucun respect de la fonction et de la dignité de conseiller fédéral ? Et puis, « un juste châtiment divin » ! Depuis quand les socialistes croient-ils en Dieu ?

A quoi sert donc le Conseil fédéral ? C'est dans la nature de notre Etat que personne ne puisse agir et décider directement, même s'il sait ce qu'il faut faire. Souvent, on ne peut que corriger une tendance erronée. C'est là une tâche qui d'ailleurs est souvent assumée par le peuple, et depuis très longtemps. Dans notre démocratie directe, la décision appartient toujours au peuple souverain en dernière instance. La véritable tâche du Conseil fédéral est de mettre en ouvre la volonté démocratique des électeurs. C'est donc une mauvaise habitude qu'il se mêle toujours plus, et toujours plus partialement, des campagnes précédant les votations. Il en résulte que le Conseil fédéral est parfois identifié à des projets qui n'émanent pas même de lui. Cela nuit à son image. Cette façon de faire sape également la cohésion du peuple, car dans tous les cas, une grande partie de la population ne se sent plus représentée par le gouvernement. Il n'est pas admissible que le législatif délègue les campagnes précédant les votations à l'exécutif. Car le travail de l'exécutif commence seulement après une décision populaire - c'est ce qui découle de la séparation des pouvoirs. Aujourd'hui, le Conseil fédéral défend souvent des projets qui viennent à l'origine de partis politiques ou d'associations. Récemment, une conseillère nationale PRD fraîchement élue disait qu'elle attendait du nouveau Conseil fédéral « qu'il s'engage résolument » en faveur de l'assurance maternité. Justement pas ! Ce n'est pas la tâche du Conseil fédéral et de l'administration dans un gouvernement de concordance. Celui qui abandonne ici le devoir de réserve menace en fin de compte le sens et le but de notre système de concordance. Car en fin de compte, nous avons une concordance numérique, arithmétique, et non une concordance politique. C'est aux partis, aux associations et aux hommes politiques de mener campagne. C'est pourquoi nous devrions immédiatement mettre un terme à la propagande d'Etat financée sur les deniers publics.

III. Bureaucratie mortelle

Mes premières impressions et conclusions après quinze jours d'observation de l'administration fédérale:

Ces dernières années, ce n'est pas seulement notre administration qui est devenue toujours plus bureaucratique ; l'économie et même la vie de tout un chacun sont de plus en plus réglementées par l'Etat. Même un conseiller fédéral n'y échappe pas. J'avais à peine entamé mon travail quand mon estimé huissier m'a demandé quand je voulais qu'on me serve le café. J'ai dit : « Apportez-moi le café quand j'en demande un. » L'huissier m'a répondu : « Ce n'est pas si simple. Nous tenons une liste des cafés privés et des cafés de représentation. Les décomptes sont fait séparément et contrôlés par le Département des finances. Vous devez à chaque fois me dire si vous prenez le café à titre privé ou à titre de représentation. » Je lui répond : « Je vous paye les paquets de café, comme ça vous ne devrez plus faire de décompte. » Réponse de l'huissier consciencieux : « Ce n'est pas possible : les invités du Département des affaires étrangères utilisent cette machine, et même, une fois par semaine, les conseillers fédéraux pendant leur séance. » Il faut donc contrôler, noter et comptabiliser. Entre-temps, les huissiers ont trouvé un système plus sensé.

La bureaucratie apparaît partout où l'on essaie de régler chaque problème, petit ou grand, par des prescriptions et des mesures, de telle sorte que le problème ne puisse plus se poser. La bureaucratie devient absurde lorsque les règles appliquées sont disproportionnées par rapport à l'importance des problèmes réels et que les nouvelles prescriptions font obstacle à la productivité et à la créativité de tous ceux qui pensent et agissent normalement. Un autre exemple, qu'un viticulteur zurichois m'expliquait dans une lettre : parce qu'un Romand avait mélangé son vin avec du rouge algérien en quantité non autorisée, une série de nouvelles prescriptions ont été édictées. Applicables à tous. Au lieu de punir le délinquant d'une forte amende, la bureaucratie punit tout le monde, y compris les innocents. Le viticulteur se plaignait à moi de ce que ce travail administratif supplémentaire était encore à peine supportable financièrement.

Ce sont aussi souvent les politiciens qui, pour remédier à d'éventuelles petites injustices ou à des cas d'espèce rares, appellent à édicter toujours plus de prescriptions, à cause desquelles il est ensuite terriblement difficile, voire impossible, de travailler normalement. S'y ajoutent les innombrables lois que les offices élaborent pour le seul motif d'adapter avec un empressement servile la vie de nos citoyens aux lois d'autres Etats ou, comme on dit si bien en français fédéral, par souci « d'harmonisation ».

Pour peu que toutes ces règlementations, prescriptions et lois soient appliquées à la lettre, elles étouffent non seulement toute originalité et toute spontanéité, mais aussi la vie elle-même. Le problème de la bureaucratie n'est pas que les fonctionnaires travaillent trop peu, mais qu'ils travaillent trop bien. Regardez l'affaire des fiches. Un service a une fois ordonné de surveiller tous les suspects et de consigner les observations dans des fiches. C'était à l'époque une mesure juste et appropriée. Mais plus tard, aucun des fonctionnaires responsables n'a dit qu'on pouvait arrêter. Et on a vaillamment continuer de recueillir des renseignements et de ficher, jusqu'au grand scandale.

Il est dans la nature de la bureaucratie de vouloir remplacer chaque dysfonctionnement possible, chaque erreur par un système. La bureaucratisation croissante de la société, de l'économie, de l'administration et de la politique est une conséquence du manque de sens de la responsabilité personnelle et de la peur du risque.

Pendant les quelques jours que j'ai passés dans la charge de conseiller fédéral, j'ai douloureusement pris conscience de la manière parfaitement ingénieuse dont la bureaucratie empêche de trouver des solutions aux problèmes les plus importants de ce pays et par là même de gouverner, avec ses fonctionnaires zélés, corrects et précis. Nous sommes constamment occupés à gérer des affaires mineurs qu'on nous impose si bien que les questions décisives restent sans réponse. A la fin, nous n'avons plus le temps ni l'énergie de réfléchir : « Où est l'essentiel ? Où sont les gros problèmes ? » Pourtant, c'est précisément sur ces points que le conseiller fédéral devrait discuter avec ses directeurs d'offices et ses collègues, débattre et examiner des propositions. Quand on a déterminé quels étaient les problèmes les plus importants, la moitié du travail est faite et on peut élaborer des solutions.

IV. Une élection déterminante

Lors de notre réunion de l'Albisgüetli de l'an dernier, nous avions devant nous une année électorale importante et décisive. Je ne doutais pas de l'impact capital qu'auraient pour nous les élections parlementaires de 2003. Pour que quelque chose change à l'avenir dans notre pays, il importait que l'UDC fasse fort.

Je disais en substance: Le réveil s'opère petit à petit! Dans l'économie et la société, chez les gens qui, au quotidien, ont les pieds sur terre, il se fait jour. Sauf au Palais fédéral. Là-bas, c'est encore la nuit noire et le profond sommeil. Réveillons-les lors des élections de 2003!"

Et tel fut bien le cas. Les élections du 19 octobre 2003 ne les ont pas seulement sortis de leur léthargie. Elles les ont carrément secoués. Pour la troisième fois consécutive, l'UDC a remporté une victoire électorale éclatante. Le réveil s'est avéré certes brutal, mais nécessaire. Pourquoi? Parce qu'il est passé le temps des rêveries. Parce que l'on ne peut plus cacher la réalité avec de beaux discours. Parce que les problèmes sont trop évidents. Parce que plus personne ne peut désormais nier les milliards de déficit. Parce que les gens sont las de voir que l'on essaie de résoudre les problèmes avec de l'argent plutôt que par des actes. Trop longtemps, on s'est abandonné à des visions mirifiques tout en négligeant le travail. L'UDC a préservé fermement les recettes bourgeoises et libérales qui ont fait leurs preuves, en dépit des attaques subies. Nous avons conquis et défendu notre indépendance de haute lutte. Même contre la presse unique. Nous avons su dire non quand c'était nécessaire et nous avons présenté de meilleures solutions. Nous avons parlé un langage clair, sans nous rallier comme les autres au verbiage consensuel. Les citoyennes et citoyens de notre pays ont compris que nous nous engageons pour une politique solide et fiable. Si l'UDC a gagné les élections de 2003, c'est parce que le peuple a honoré notre travail inlassable. Les électrices et les électeurs placent en notre parti le grand espoir de voir enfin la politique s'occuper des citoyennes et citoyens qui font avancer notre pays. Or maintenant, ce soulagement, cette assurance se ressentent quotidiennement. La Suisse commence à sortir de sa torpeur et reprend confiance en ses moyens.

Depuis le 10 décembre 2003, la classe moyenne assidue se sent à nouveau représentée au Conseil fédéral. Les gens veulent du travail. Ils veulent pouvoir s'épanouir librement. Le peuple ploie sous la lourdeur des primes de l'assurance-maladie. Il souhaite des rentes sûres, il demande qu'un terme soit mis à l'immigration illégale, il s'offusque des abus généralisés du droit d'asile. En d'autres termes: ce que souhaitent les citoyennes et citoyens de notre pays c'est une économie prospère, car elle seule amènera bien-être et plein emploi. D'autre part, ils attendent que les autorités s'en prennent enfin aux abus manifestes. Il est en effet choquant de devoir payer, chaque année, des milliards de francs d'impôts uniquement parce que certains ne respectent pas les lois ou profitent de notre système social. Une grande majorité des habitants de notre pays veut tout sauf une politique ruineuse de redistribution. Elle est fatiguée de ces moralisateurs qui passent sous silence tout dysfonctionnement qui ne correspond pas à leur idéologie socio-romantique. Les gens ont enfin compris la vraie nature de la rhétorique gauchiste qui, finalement, ne se traduit que par de nouveaux impôts, de nouvelles dettes, de nouveaux abus sociaux.

V. La persévérance paie

Le 19 octobre 2003, le réveil a sonné. Il était clair pour l'UDC que les choses ne pouvaient plus continuer comme par le passé. Des années durant, l'UDC s'est, au sein du Conseil fédéral, couvert de la feuille de vigne bourgeoise. Après les élections de 1999, on a freiné l'UDC, bien que, à l'époque déjà, il aurait déjà eu droit à un deuxième siège au Conseil fédéral. Sous toutes sortes de prétextes, qui changeaient d'un mois à l'autre, les autres partis politiques ont refusé un deuxième siège à l'UDC. Aussi a-t-il fallu que l'on remette les horloges à l'heure après les élections de l'automne dernier. Il fallait que nous mettions au mieux en pratique notre politique, le mandat que nous ont confié nos électeurs. Le temps des demi-mesures était définitivement révolu.

En ce qui me concerne, cette année met un terme à un long épisode de mon travail politique. Après vingt-six ans, je quitte la présidence de l'UDC cantonale. Durant cette période, notre parti a changé énormément, à Zurich tout d'abord, puis dans l'ensemble du pays. De la petite portion, dont on tendait à se moquer, l'UDC est devenue la force bourgeoise majeure du pays. Cet essor s'explique par différentes raisons. Exception faite de notre parti, rares sont les politiques qui ont osé s'opposer au consensus médiatique et oratoire. L'UDC a appelé les choses par leur nom - en dépit des bastonnades journalistiques. L'esprit du temps tendait au gigantisme et visait l'adhésion à une organisation colossale. Dans l'économie, les temps de la mégalomanie sont révolus. En politique, tout prend naturellement un peu plus de temps. Mais l'Union européenne a passablement perdu de son éclat. L'élargissement à l'Est est à l'origine de plus de querelles que d'enthousiasme. En Suisse, on se remémore ses propres mérites. Les jeunes dirigeants de l'économique misent, eux aussi, pleinement sur la qualité suisse. Récemment, le nouveau chef de Denner, âgé seulement de 31 ans, déclarait: "Nous les Suisses, nous devons remettre les pieds sur terre et renouer avec nos vertus passées: le travail, la modestie, la disponibilité et la discipline. C'est ce qui a fait la grandeur de la Suisse." Ainsi parlait un jeune!

Les vertus bourgeoises ne vieillissent jamais. C'est pour cette raison que nous sommes un parti libéro-conservateur. Nous donnons à l'économie et à l'individu la liberté de s'épanouir. Parallèlement, nous examinons - en conservateurs - si les apports nouveaux valent vraiment mieux que l'acquis éprouvé. Voilà la motivation qui m'a mené à la politique et qui, depuis, a toujours guidé mon action.

VI. Une rétrospective

C'est à Meilen, mon ancienne commune de résidence, que je me suis véritablement engagé politiquement pour la première fois. Nous y habitions depuis moins de trois mois, lorsqu'il fut question du zonage foncier d'une énorme superficie destinée à Alusuisse. Nous trouvions le projet complètement démesuré pour une région campagnarde, même si beaucoup espéraient une manne alléchante. Ainsi, je me retrouvais porte-parole des opposants. Près de trois mille personnes se rendirent à l'assemblée communale. En raison de l'affluence, il fallu transmettre la débat par haut-parleurs dans une deuxième salle de gymnastique. Lorsque je pris la porale pour la deuxième fois, le président de la commune et conseiller national Theodor Kloter, de l'alliance des indépendants, perdant contenance grommela à son voisin "i' cause d'nouveau c'crétin!". Seulement voilà, les micros étaient allumés, si bien que tous ceux qui se trouvaient dans l'autre salle de purent entendre la remarque peu complaisante. Ce coup de gueule ne m'empêcha toutefois pas de reprendre la parole. D'ailleurs, nous avons perdu la votation. Malgré tout, le centre d'Alusuisse ne c'est pas construit. Ce qui prouve qu'une défaite ne reste pas toujours une défaite.

Sur ces entrefaites, plusieurs partis politiques m'approchèrent pour obtenir mon adhésion. Sauf les socialistes: ils s'épargnèrent le déplacement, même si d'habitude les économies, c'est pas leur fort. Je décidais d'adhérer à l'UDC, parce que, en tant qu'agriculteur de formation, le parti des agrariens m'était plus proche et qu'il n'exhalait pas la suffisance partisane qu'affichaient à l'époque d'autres formations politiques.

Je fus rapidement élu au législatif communal. Un an plus tard - en 1975 -, à peine élu au Grand Conseil zurichois, je combattis la loi cantonale sur l'aménagement du territoire et donc aussi le conseiller d'Etat et directeur des travaux publics Alois Günthart, UDC. Jadis déjà, la NZZ refusait de publier nos communications, parce qu'elles ne correspondaient pas à ses vues politiques. En raison de nos divergences d'opinions, le directeur des travaux publics voulut m'exclure du parti. Nous avons perdu la votation, et le conseiller d'Etat UDC prédit aux trois députés opposants - Rudolf Reichling, Albert Siegrist (PRD) et moi - la fin de la carrière politique. Il en fut tout autrement: Albert Siegrist devint conseiller d'Etat, Rudolf Reichling président du Conseil national et Christoph Blocher conseiller fédéral. Les politiques ont toujours été de très mauvais prophètes. Quel est l'enseignement que j'ai tiré de cette affaire? Il faut faire son chemin avec persévérance, même au risque de subir une défaite. Il convient de rester fidèle à ses convictions, même si on les diabolise. Au risque de s'entendre dire: "i' cause d'nouveau c'crétin!". La mort politique n'est pas d'avoir une opinion, mais de la renier par opportunisme. D'ailleurs, Alois Günthart fut, ultérieurement, l'un de mes plus intimes amis politiques.

En 1977, je suis devenu président de l'UDC zurichoise. Diverses personnes s'employèrent à empêcher mon élection. Lors de l'Assemblée des délégués décisive, j'ai voté en vain contre le nouveau régime financier que le peuple allait rejeter ultérieurement. Mes opposants argumentaient que l'on ne pouvait pas élire à la présidence cantonale une personne qui défend une opinion contraire sur des problèmes concrets. Les délégués débattirent bien au-delà de minuit pour savoir sur qui, de l'autre candidat à la présidence ou de moi, devait se porter leur choix. Je déposais finalement une motion d'ordre pour que cesse enfin la controverse. Mon épouse, qui m'avait accompagné, devait rentrer à la maison. Un bébé de quatre mois devait être allaité, pour pas qu'il ne meurt de faim. Je m'exclamais: "La survie de mon enfant m'est plus importante que cet honorable mandat du parti." Cette déclaration fit la différence. L'Assemblée insista pour que l'on passât au vote, et le résultat en ma faveur s'avéra étonnamment net. Ma femme ne m'accompagnait pas pour la première fois. Et ce ne fut pas la dernière. Toutes ces années, avec moi, elle a livré de nombreux combats, digéré des échecs, fêté des victoires et fait avancé l'UDC zurichoise et moi-même. Durant les mois qui ont précédé l'élection au Conseil fédéral, elle m'a soutenu et me gratifie aussi de sa présence aujourd'hui. Un grand merci à toi, chère Silvia!

L'UDC, c'est connu, est issue du parti agrarien. Dans certains cantons, elle pouvait compter sur une longue tradition. Ce qui constituait d'ailleurs un certain corset doctrinal. Je me souviens de mes premières visites, en tant que président du parti, de sections locales viticoles. L'ordre du jour prévoyait certes de traiter aussi des mots d'ordre en vue des votations. Mais c'était avec bien davantage d'enthousiasme que les délégués commentaient la prochaine foire aux bestiaux régionale. Le parti, les coopératives laitières et agricoles formaient un tout. C'est alors que nous avons commencé, dans le canton de Zurich, à élargir notre programme. En particulier, nous nous sommes aussi occupés de politique financière, économique et extérieure. Aujourd'hui, nous sommes devenus le principal parti politique qui défend l'économie. Le travail s'est avéré difficile et laborieux. En politique, il est bon de développer une certaine obstination. Mon épouse était souvent au bord du désespoir: tant de travail pour le maigre gain d'un seul siège au Grand Conseil voire le maintien des sièges acquis. Un tel engagement pour si peu de choses! Un travail de bénédictin obstiné, non seulement envers l'extérieur, mais, presque davantage, vers l'intérieur. La paresse est le pire ennemi d'un parti politique. Nous aussi, nous avions tendance à nous contenter d'un programme électoral bien formulé. Seulement, une plate-forme électorale est une chose, et l'investissement politique une autre. La politique force à l'élaboration de grandes lignes, pour mieux éviter de passer aux choses concrètes. Voici un exemple qui illustrera ma pensée. Il s'agit d'un fait qui s'est produit au sein de notre parti, il y a certes quelques années, mais qui n'a rien perdu de son actualité.

Alors déjà, on se plaisait à lancer la maxime suivante: "Pas plus d'Etat que nécessaire - mais autant de liberté que possible." La Commission chargée d'élaborer le programme de notre parti adhéra également à ce principe et ne manqua pas de présenter, à titre d'exemple, des propositions concrètes de privatisation: la maison d'édition des manuels scolaires, la cave de l'Etat, la blanchisserie centrale, etc. Consécutivement, la Direction du parti examina minutieusement le projet, avant de se féliciter de la pertinence de ces déclarations d'intention. Une entente réjouissante régnait - du moins jusqu'à ce que l'on passât aux choses concrètes. C'est alors qu'un instituteur très considéré se leva et, exhortant son auditoire d'un indexe réprobateur, déclama qu'il serait certainement le dernier à s'opposer aux privatisations. Mais qu'il n'y avait rein de plus faux que de commencer précisément par la maison d'édition des manuels scolaires, une institution à la fois utile et traditionnelle. Au moment de parler de la cave de l'Etat, un vénérable vigneron prit la parole pour déclarer qu'il connaissait les privatisations depuis sa plus tendre enfance. Mais s'en prendre carrément à la cave de l'Etat qui doit tellement aux vignerons! S'agissant de la blanchisserie centrale, c'est l'administrateur dévoué d'un hôpital régional qui donna de la voix pour affirmer qui si quelqu'un s'y entendait en privations s'était bien lui. Et par conséquent qu'il était absurde de vouloir privatiser un établissement si nécessaire et efficace. Pas un seul des exemples rapportés ne passa la rampe. A la fin de la séance, on se mit d'accord sur une sentence programmatique creuse: "Pas plus d'Etat que nécessaire - mais autant de liberté que possible. Toutes les forces sont mobilisées pour favoriser les privatisations."

Mesdames et Messieurs, les programmes des partis politiques regorgent de grandes lignes de cet acabit. Ce qui manque, ce sont les actes. Eux seuls comptent pour les citoyens. Ce sont les faits qui sont déterminants. Au cas contraire, la confiance que place les électeurs et tout le peuple en la politique et ses acteurs décline de plus en plus, dès lors que les programmes et leurs effets ne coïncident plus.

VII. L'EEE, un tournant

Le véritable tournant pour l'UDC fut la plus importante votation en matière de politique extérieure du siècle passé: celle de 1992 sur l'EEE. Rarement un objet en votation n'avait vu une pareille détermination et un tel déploiement d'énergie de la part de toutes les associations et tous les partis politiques, du Conseil fédéral, des gouvernements cantonaux, de l'ensemble de l'économie, des syndicats et de l'establishment. Avec, suspendus à leurs basques, quasiment tous les médias: de la presse à la télévision. Les faiseurs d'opinion élevèrent la votation sur l'EEE au rang de vote de confiance, ni plus ni moins. Et ils la perdirent. Pourtant, ce n'est que plus tard que les partisans du oui à l'EEE galvaudèrent la confiance placée en eux, à savoir lorsque le Conseil fédéral et le Parlement firent fi du verdict populaire. Au lieu d'accepter la réalité, ils essayèrent, par toutes sortes de mesures, de rendre la Suisse apte à une adhésion à l'UE. Notamment en ne manquant aucune occasion de diffamer notre parti et ses représentants. Ce qui n'a d'ailleurs que renforcé l'UDC. Il n'y avait dès lors plus de place à l'UDC pour les opportunistes et les transfuges. Quiconque voulait faire de la politique à l'UDC devait s'identifier avec ses convictions et les défendre envers et contre tous. Il en est résulté crédit et respect auprès de la population. Pourquoi donc la votation du 6 décembre 1992 s'est-elle avérée si décisive pour la Suisse?

Le non à l'EEE a empêché l'adhésion visée à l'UE, avec son cortège de conséquences négatives.
Le non à l'EEE a barré la conclusion d'un accord colonialiste et avilissant qui aurait forcé la Suisse à intégrer, par la suite, du droit communautaire sans la moindre possibilité de s'y refuser.
Le non à l'accord sur l'EEE a permis à la Suisse de mieux sauvegarder, précisément en dehors de l'EEE/UE, son bien-être et son indépendance. L'économie, à l'époque euroenthousiaste, émet aujourd'hui un jugement franchement négatif quant à une adhésion à l'UE. Sans un non à l'EEE, cette réévaluation n'aurait pas été possible.

Au vu de ces circonstances, il était clair pour tout le monde que seul un parti s'est engagé et s'engage inconditionnellement pour l'autonomie de notre pays, pour la voie suisse en Europe et dans le monde. A savoir l'UDC. Les électrices et les électeurs l'ont compris et l'ont indiscutablement signalé en 1995, 1999 et l'an dernier.

VIII. Opérer le tournant bourgeois

Les divergences entre le peuple et les autorités ne sont pas un phénomène nouveau. Dans un article de 1940, le cofondateur de l'hebdomadaire "Die Weltwoche", Karl von Schumacher, donnait sans ambages la préférence à la voix du peuple en cas de doute: "En cas de divergence d'opinions entre le peuple suisse et son gouvernement, il apparaît finalement presque toujours que l'homme de la rue a une meilleure compréhension des choses que l'homme qui est parvenu au pouvoir. La raison est relativement simple. L'entendement ne suffit pas, il faut aussi de la sensibilité politique. Or, cette dernière est fréquemment mieux développée chez l'homme de la rue que chez la personne plus instruite, mais, trop souvent aussi, plus irréaliste."

Mesdames et Messieurs, réjouissons-nous de la grande victoire remportée par l'UDC lors des dernières élections. Mais avec circonspection pour ne rien gâcher.
Après qu'Hannibal eut traversé les Alpes et remporté une victoire triomphale sur l'armée romaine, ses officiers le pressèrent d'attaquer Rome au plus vite. Mais Hannibal hésita, avant d'y renoncer. Son commandant de la cavalerie se serait alors exclamé: "Tu es capable de gagner une bataille, mais incapable de tirer profit de ta victoire!"

Après mon élection au Conseil fédéral, un nombre considérable de citoyennes et citoyens m'ont félicité, tout en exprimant notamment les attentes qu'ils plaçaient en moi et en me souhaitant beaucoup de force dans l'accomplissement de ce nouveau mandat, parfaitement conscients qu'ils étaient que je n'aurai pas la partie facile et que je rencontrerai beaucoup de résistance. Je vous remercie de votre confiance et de votre soutien, tout en comptant aussi sur vous, Mesdames et Messieurs. Je puis vous assurer que, pour ma part, je donnerai le meilleur de moi-même pour ne pas vous décevoir. Espérons que l'on puisse dire un jour: vous n'avez pas seulement été capable de remporter une victoire, mais vous avez aussi su vous en servir pour le bien de notre pays et de sa population.