Mesdames et Messieurs,

Chaque être humain aspire à la sécurité. C'est la raison pour laquelle la collectivité est, elle aussi, appelée à oeuvrer en faveur de la sécurité:

la sécurité par l'innovation
la sécurité par la solidarité
la sécurité par l'ouverture

comme l'ont souligné les orateurs qui m'ont précédée, mais aussi, et surtout

la sécurité par la protection.

Dans les documents réunis à l'occasion du présent congrès du PDC en vue du départ vers le 21e siècle, le titre "Sécurité par la protection", se réfère en premier lieu au domaine de l'asile. Il est vrai que le domaine de l'asile et des étrangers figure, depuis quelque temps, au nombre des principales préoccupations de la population suisse.

A cela s'ajoute une peur, pas toujours rationnelle, de l'étranger, de l'extérieur, de ce que l'on connaît peu, de ce qui échappe à notre propre contrôle. J'ai perçu cette angoisse, ces derniers temps surtout, dans les nombreuses lettres qui m'ont été adressées en réaction aux décisions du Conseil fédéral concernant le retour au pays des Albanais du Kosovo. Ils ne comprennent pas que la priorité soit accordée au retour des personnes réfugiées dans des camps en Albanie et en Macédoine du fait qu'elles se trouvent dans une situation de loin plus pénible que les autres. Ils ont peur que de nombreux Albanais du Kosovo souhaitent rester en Suisse pour y occuper, par exemple, des places de travail.

Je prends ces craintes au sérieux. D'abord, parce qu'elles plongent leurs racines très profondément. Mais aussi parce qu'elles sont révélatrices de préoccupations encore plus graves: il y va

de la sauvegarde du propre poste de travail;
de la protection des enfants contre les trafiquants de drogue aux abords des écoles
de la protection des femmes contre des attitudes déplacées, des injures ou des voies de fait
de la protection de la propriété contre les voleurs et les cambrioleurs.

Il y va du besoin légitime de pouvoir sans crainte se promener de nuit dans les quartiers et laisser les enfants jouer à l'extérieur.

Pourtant, ces peurs ne doivent pas nous paralyser. Elles ne doivent notamment pas nous masquer la source réelle des problèmes. Certes, il est vrai que certains étrangers sont mêlés au trafic de la drogue, à la traite d'enfants, à la petite délinquance et à bien d'autres infractions encore. Or, pour les combattre, nous disposons non seulement du droit pénal ordinaire, auquel les étrangers sont bien évidemment soumis eux aussi, mais également des mesures de contrainte dans le droit applicable aux étrangers. Et la nouvelle loi sur l'asile nous offre les dispositions nécessaires à la lutte contre les abus.

Il importe toutefois de se rappeler que nous ne pouvons pas faire d'amalgame et que, parmi les auteurs de toutes ces infractions, se trouvent aussi des citoyennes et des citoyens suisses! Une politique de «verrouillage pur et simple des frontières» ne résoudrait donc nullement le problème.

En ma qualité de Cheffe du département de la justice et de la police, je ne saurais d'ailleurs soutenir que l'on fasse un tel amalgame et que l'on mette en place une politique de verrouillage. Je me distancie résolument de l'attitude de certains milieux qui, dans notre pays, ne conçoivent la notion de protection que dans le sens d'une protection contre les étrangers, voire contre les personnes qui s'expriment ou qui pensent différemment. J'entends cependant également agir et je n'entends pas souffrir que l'on abuse de notre hospitalité.

La sécurité ne souffre aucune concession

Nous ne saurions garantir la sécurité à une partie de la population et non à l'autre. Cela vaut tant pour la population autochtone que pour la population étrangère, quel que soit son statut.

Le sentiment d'insécurité est contagieux. Il peut conduire à l'exclusion, voire à la ghettoïsation de groupes entiers de population, qui risquent ensuite de déraper vers la criminalité. Il s'agit là d'un cercle vicieux, que nous devons combattre de toutes nos forces.

L'extrémisme de droite s'est renforcé durant ces dernières années en Suisse. Le récent Rapport sur la protection de l'Etat relève, dans les milieux de skinheads notamment, une tendance accrue à recourir à la violence. En 1998, des agressions ont à nouveau été perpétrées contre des étrangers et des centres d'hébergement de requérants d'asile dans notre pays. De tels événements ne constituent pas seulement une menace pour les étrangers directement concernés. Ils créent un climat de violence qui répand l'insécurité dans la population autochtone également.

La sécurité du pays implique aussi la protection des autres formes de pensée et la protection contre l'exclusion. Je rappellerai à cet égard que la liberté d'expression et la liberté d'opinion sont des piliers de notre Etat fondé sur le droit. En fait, elles vont aussi de soi.

S'il est une chose dont nous n'avons vraiment pas besoin, c'est bien des peurs entretenues par certaines personnes qui, pour tenter de décourager le gouvernement et le parlement de ce pays, n'hésitent pas à fouler au pied l'esprit démocratique du système suisse. Ils prennent le risque de déstabiliser notre structure politique et distillent un profond sentiment d'insécurité.

Tant que j'assumerai, à la tête du DFJP et avec mes convictions de démocrate-chrétienne, la responsabilité de la sûreté intérieure de notre pays, je m'opposerai avec véhémence à ce genre de manoeuvres.

La sécurité est une tâche commune

Nous devons savoir qui nous protégeons, contre quoi et comment. Nous devons aussi nous demander où doit s'arrêter la protection et où doit commencer la responsabilité individuelle. La lutte contre la criminalité, par exemple, relève non pas de la seule responsabilité de l'Etat, mais aussi de celle de l'ensemble de la société. Les ressources de la justice et de la police ne sauraient venir seules à bout de cette tâche. Tout indispensables que soient la justice et la police pour réprimer et condamner la criminalité, elles ne peuvent assurer seules la prévention des infractions ni empêcher les vocations et les carrières criminelles. En fin de compte, les efforts déployés pour lutter contre la criminalité ne peuvent être couronnés de succès que s'il bénéficient du soutien de la société. N'oublions pas que la criminalité a beaucoup à voir avec les valeurs de notre société. L'Etat ne peut édicter ces valeurs par décret. A cet égard, la famille, les églises, les associations et les organisations endossent une responsabilité tout aussi importante que les magistrats, les partis ou les groupes politiques.

L'Etat doit assurer la protection lorsque les autres moyens ne suffisent plus à garantir la sécurité des individus ou de la collectivité. Le principe de la subsidiarité, principe qui impose une exécution des tâches aussi proche que possible du citoyen, prend en l'occurrence une importance toute particulière. Car il y va finalement d'une pesée des intérêts entre le droit légitime à la sécurité, d'une part, et le respect de la sphère privée de chaque individu, d'autre part.

Néanmoins, Mesdames et Messieurs:

la volonté de protéger est une chose; encore faut-il s'en donner les moyens!

Il ne suffit pas que l'Etat puisse intervenir une fois que les dégâts sont faits. Toute protection est alors inutile. Il est également inutile de réclamer une protection de l'Etat sans vouloir lui en donner les moyens. Il me semble évident qu'il faut garder grands ouverts les yeux et les oreilles là où un danger est susceptible de se manifester. Bander les yeux de l'Etat et lui reprocher ensuite de ne pas remplir sa mission semble être devenu le passe-temps favori de certains sympathisants de la gauche politique. J'ignore s'il s'agit d'un système en soi. Mais, dans notre pays, où les décisions requièrent encore l'élaboration d'un consensus entre toutes les principales forces politiques, un tel comportement n'a pas sa place, ni d'ailleurs un quelconque avenir. Le résultat de l'initiative «S.o.S. - pour une Suisse sans police fouineuse» en a apporté une preuve éclatante, puisqu'elle a été rejetée par les trois quarts des votants.

Le pouvoir en tant que monopole de l'Etat

Conformément à la nouvelle loi fédérale sur les mesures visant au maintien de la sûreté intérieure, la Police fédérale mène la lutte contre la criminalité organisée, qui constitue l'une des plus graves menaces pour notre société. Les activités internationales des syndicats du crime menacent non seulement la société, mais elles sapent aussi le pouvoir dont l'Etat est censé avoir le monopole. Jusqu'ici, il était généralement admis que seul l'Etat devait avoir la possibilité de recourir à la force pour garantir la protection. Ce monopole attribué à l'Etat, qui y puise son pouvoir d'organisation et de protection, est contourné de plus en plus souvent. Racket, justice privée, contrôle d'organisations mafieuses sur des secteurs économiques et politiques entiers en Europe de l'Est sont autant de menaces qui pèsent sur nos têtes. Les Etats qui disposent de structures de sécurité limitées à leur seul territoire peinent à lutter contre les activités criminelles d'envergure internationale. Internet illustre bien la manière dont peut être éludée la fonction de protection qui incombe à l'Etat.

Pour parer tant bien que mal à cette menace, il faut des instruments adéquats. Aujourd'hui comme hier, la sûreté intérieure a son prix. Elle requiert la volonté de collaboration et les moyens nécessaires à une protection efficace. La sécurité implique des mesures de protection.

Limites de la structure fédéraliste de l'Etat

La protection de l'Etat et la police sont des instruments de sauvegarde de la sûreté intérieure. Il faut toutefois savoir que, dans le secteur de la police et, notamment, dans la lutte internationale contre la criminalité et la maîtrise des problèmes de migration, la structure fédéraliste de l'Etat a des limites. Une série d'incidents en relation avec des conflits à l'étranger - Kurdes, Kosovo - a montré que les corps suisses de police appelés à maîtriser simultanément plusieurs événements majeurs atteignent les limites de leur capacité lorsqu'un engagement prolongé s'avère nécessaire.

Les moyens des différents cantons ne suffisent souvent pas non plus à combattre efficacement les réseaux internationaux du crime organisé. Le caractère transfrontière de cette forme de criminalité entrave l'efficacité des enquêtes.

Le 31 mai 1999, le Conseil fédéral a décidé de détacher la Police fédérale et le Service de sécurité de l'administration fédérale du Ministère public de la Confédération pour les rattacher à l'Office fédéral de la police. Mon département s'emploie aujourd'hui, en collaboration avec les cantons et les autres départements concernés, à mettre sur pied un projet de vérification des mesures dans le secteur de la sûreté intérieure. L'organisation de projet examinera notamment la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons et présentera des propositions relatives à la future collaboration. Elle élaborera en outre une stratégie en prévision de l'éventuelle suppression des contrôles à la frontière et de l'avenir du Corps des gardes-frontière en cas d'adhésion à l'UE ou de toute autre forme de participation de notre pays à l'Espace européen des libertés, de la sécurité et du droit.

Collaboration internationale indispensable

En fin de compte, nous devons aussi nous rappeler que la Suisse est un îlot au milieu de l'UE. Cette situation a des répercussions négatives importantes dans le domaine de la sûreté intérieure. Précisément parce que notre pays est ainsi exclu de la coopération européenne en matière de sécurité dans le cadre de l'accord de Schengen.

Pour éviter sa marginalisation dans la coopération européenne en matière de sécurité, la Suisse a engagé, depuis 1995, des négociations bilatérales avec tous les Etats voisins afin de renforcer la coopération transfrontalière en matière de justice et de police et de se fonder sur des bases nouvelles. Tous ces efforts ne permettront cependant pas à la Suisse d'être intégrée dans le système de coopération des Etats membres de l'UE. Les contrôles aux frontières, la politique des visas, la politique d'asile ainsi que l'accès au système d'information de Schengen demeurent notamment exclus de la coopération bilatérale. Ces domaines ne peuvent faire séparément l'objet d'un accord bilatéral entre la Suisse et les différents Etats membres de l'UE.

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Nous entendons garantir la sécurité de nos concitoyens et de nos concitoyennes en adoptant des mesures de protection efficaces. Nous entendons dissiper les craintes et non les alimenter. Dans ce pays, trop nombreuses sont les forces qui se servent de la notion de protection comme d'un slogan électoral modulable à volonté.

Nous entendons veiller à ce que la sécurité soit, à l'avenir aussi, assurée par la protection. Car c'est l'avenir que nous bâtissons. Un avenir sûr, un avenir dans la sécurité.

Prenons-en l'engagement, avec fermeté et conviction, à haute voix et sans ambiguïté.

La protection gage de sécurité