Madame et Messieurs les Présidents,
Madame la Représentante de la Commune d’honneur,
Mesdames et Messieurs,
Et chers Amis de notre pays neuchâtelois et des Vendanges,

On dit que « le temps ne pardonne pas ce qu’on fait sans lui ». Et bien, ici, le temps ne semble pas avoir de prise. A Neuchâtel, rien n’empêche la fête et même les rives sont qualifiées de « jeunes ». Le charme de notre est presque intemporel. C’est vraisemblablement parce qu’il puise sa force dans un mariage solide et heureux : celui du lac et de la vigne.

Et à Berne, je ne suis visiblement plus le seul à le penser. Bon, il faut dire que, depuis mon arrivée dans ce sage collège des sept, le Conseil fédéral a plus souvent l’occasion de goûter aux produits de la vigne neuchâteloise. Il n’a pas pour autant pris des mesures « radicales » - si je puis dire ; il n’a pas, par exemple, décidé de transférer le Palais fédéral sur nos coteaux. Mais il y a des signes qui ne trompent pas : il a décidé d’envoyer en reconnaissance la patrouille suisse ! Et j’ai pour ma part l’impression que ces extraordinaires pilotes ont beaucoup apprécié ; ils risquent de nous demander de revenir toutes les fins de semaine, du moins jusqu’à ce que le Parlement ait trouvé une solution pour « récolter » de nouveaux avions !

C’est en tous les cas un vrai bonheur, pour mon épouse et moi-même, de former en quelque sorte une autre « patrouille suisse » et de nous retrouver réunis avec vous, au bord de ce lac, pour plonger dans l’amitié ainsi que pour célébrer cette vigne et ce qu’elle fait de meilleur.

Si le temps passe sur la vigne sans laisser d’autres traces que les récoltes prometteuses, cela n’empêche pas de le compter, de compter les années ; ici – et déjà - jusqu’à mille. En cette millième année, la vendange sera exceptionnelle, « opulente et riche » ; pour marquer dignement une année encore plus exceptionnelle, celle du Millénaire de Neuchâtel, mais aussi de deux communes voisines aussi lacustres que viticoles et qui me sont chères : Auvernier, commune de mon enfance, et St-Blaise, commune d’un autre mariage, fêtant d’ailleurs aussi un jubilé, celui de cette « patrouille suisse » dont je viens de parler.

Malgré cette indifférence neuchâteloise face au temps – alors que notre région adore le mesurer pour le reste du monde -, la tradition de la fête des Vendanges – elle - paraît ancienne ; comme les pierres sèches d’un mur de vigne. Elle est si bien ancrée dans cette cité portuaire qu’elle semble remonter à un passé immémorial. On pourrait presque croire qu’elle est née avec la Ville. Et l’on est presque surpris qu’il ne s’agisse que de la 86e fête des Vendanges, et non de la millième, tant cette célébration s’est « fondue » dans l’identité de la Ville.

Et à propos de fondue : dans ce caquelon de l’identité neuchâteloise, le mélange de saveurs de la Fête des Vendange réussit un autre mariage heureux avec le chasselas doré de nos coteaux. Le résultat ne tranche pas : il est savoureux.

C’est qu’il y a un ingrédient spécial qui permet de réussir les épousailles de la tradition et de la convivialité, comme on marie en harmonie dans les caquelons le gruyère de nos vallées et le vin blanc de nos coteaux. Dans la fondue, on ajoute de la « maïzena », pour que le mélange « prenne bien ». Pour la Fête des Vendanges, ce « quelque chose » de spécial est dans le cœur de chacun d’entre nous, dans nos valeurs communes.

Avant tout dans l’engagement, la motivation ; dans ce temps que l’on mesure à sa juste valeur mais qu’on ne compte plus, dans toutes ces heures de bénévolat et de service public ; dans le travail de centaines de personnes qui œuvrent sans relâche pour que chaque année, trois jours durant, le temps s’arrête, qu’il suspende son vol – comme la patrouille suisse. Pour que Neuchâtel devienne alors plus chaleureuse encore, plus belle encore, plus Neuchâtel encore!

Et, pendant ce temps, le lac retient ses vagues et la vigne fait des promesses.

Promesses doublement tenues, en tous les cas, du côté de la commune d’honneur de cette édition du millénaire. Le Landeron fait en quelque sorte d’un verre, deux coups ! D’abord, parce que cette commune s’amuse à refléter ses jolis coteaux dans les eaux d’un autre lac, ce qu’on lui pardonne parce que ses eaux sont partagées.

Mais aussi, et surtout, parce que Le Landeron fait preuve d’un double sens de l’engagement, en ce week-end de toutes les fêtes, en étant « au four et au moulin », à la fois à La Brocante et aux Vendanges.  C’est peut-être pour cela que, sous les chevrons neuchâtelois, il y a deux brochets sur l’écusson du Landeron: le premier peut veiller au grain sur les bords de la Thielle pendant que l’autre agite ses nageoires à la Fête des Vendanges!

Mesdames et Messieurs,

Même si ce temps suspendu est à la fête, le monde continue de tourner et de nombreux risques planent sur lui. Il est devenu plus instable, plus global, plus immédiat. Notre pays en mesure toujours le temps, sans forcément le partager entièrement. Notre pays va bien, mais il doit remonter ce temps positif pour lui – comme l’on remonte une horloge - pour se préparer à affronter des défis d’importance, des vagues qui ne sont plus retenues.

Ces prochaines années, le temps pardonnera encore moins ce qu’on fera sans lui. Nous devrons accélérer notre capacité d’innover malgré le franc trop fort, comme un voilier utilise le vent contraire pour forcer le cap ; nous devrons consolider notre capacité de dignité – donc nos assurances sociales – malgré l’immense mouvement de terrain du changement démographique ; nous devrons faire briller notre capacité de soigner toute personne malade, sans exception, malgré les nuages sombres des maladies chroniques dans une société vieillissante.

Au fond, nous devrons faire, chaque jour, comme le vigneron : travailler, tout en respectant le temps.

Le vigneron est attaché à la terre, toute proche, mais il regarde au loin. Lorsqu’il prend une poignée de cette terre dans la main, c’est pour lui dire qu’elle est libre ; pour lui dire qu’elle verra partir des plants trop vieux pour accueillir une vigne jeune ; pour lui dire qu’il comprend que la récolte ne viendra pas avant des années sur ce parchet, mais qu’il sait que le travail, puis la patience seront récompensés par la récolte ; par la vie.

Dans notre région, beaucoup de vignerons font de la politique. Je ne crois pas qu’Abraham Lincoln était aussi vigneron ; mais il aurait pu l’être lorsqu’il a dit qu’« on ne peut pas échapper à la responsabilité de demain en l’évitant aujourd’hui. »

Mesdames et Messieurs,

Les valeurs qui marient la vigne au bord du lac, les valeurs que le vigneron regarde en plissant les yeux sont celles qui font la Suisse. Et c’est pourquoi le temps – finalement - pardonne si volontiers ce que l’on « fête » sans lui. C’est pourquoi Neuchâtel a raison de garder sa Fête des vendanges en plein cœur ; de s’éloigner un peu, l’espace de quelques instants et de quelques verres partagés, du sens de la mesure ; pour imaginer cette cité millénaire de Neuchâtel en plus grand, pour imaginer Neuchâtel à la puissance deux – au carré -, peut-être même Neuchâtel « au cube ».

En tous les cas, avec ou sans cube, je me réjouis que Neuchâtel ait choisi de refermer la boîte du temps de ce millénaire par une tradition qui dépasse le temps : par une Fête des Vendanges en plein soleil.

Mon épouse et moi-même vous souhaitons, à vous tous et à ce pays neuchâtelois que nous aimons tant, beaucoup de soleil dans le cœur, bonheur et santé.
Merci et belle journée.

Fêtes des Vendanges 2011 - «Le temps d’une fête»